Swagger
6.7
Swagger

Documentaire de Olivier Babinet (2016)

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Les nouveaux fanfarons (et non sauvageons)

Voici un documentaire incroyable sur onze élèves d'un collège d'Aulnay-sous-Bois dans le 93, et dans les quartiers d'Aulnay Nord et de Sevran alentours.


Ces onze jeunes sont plein de paradoxes et d'envies. Ils abordent les questions essentielles de l'amour, l'amitié, la famille, l'intégration, le racisme, la politique, la violence, la délinquance, leur avenir. Par la même, ils offrent une vision de la société très singulière, renversant bien des clichés sur la jeunesse et la banlieue.


Le film offre des moments inoubliables qui montrent que la jeunesse des quartiers dits sensibles est pleine de ressources et d'espoir, malgré les difficultés qu'elle rencontre.
La scène du parc où ils explorent les oiseux avec leur prof est géniale. Il y a une énergie incroyable et une grande joie de vivre !


La mise en scène et le procédé cinématographique sont vraiment super et m'ont fait penser à Elephant (avec l’utilisation des ralentis).


On sent que Olivier Babinet a passé du temps, avec son équipe, dans ce collège Claude Debussy. Il a pu entrer en contact avec ces jeunes grace à Sarah Logereau, prof dans ce collège qui l'a invité à co-animer un atelier avec elle.


Il a d'abord travaillé avec les élèves de cet atelier sur le fantastique au quotidien. Il leur demandait de raconter leur trajet le matin puis des rêves et des cauchemars. Ils ont mélangé le tout pour faire une série de petits films. De fil en aiguille, l’année suivante, le Conseil Général de Seine-Saint-Denis a proposé à Oliver Babinet de séjourner au collège un jour par semaine, dans le cadre du dispositif de résidence d’artiste In Situ. Il a apprivoisé de plus ne plus les élèves, les personnel se service, administratif et enseignant.
A l’issue de ces deux années, il a souhaité mettre en images le quotidien de ce lieu à travers un clip dans lequel il a proposé à tous les «habitants» du collège de participer.
Le réalisateur raconte : "On a fait ça sur la musique du groupe de Jean Benoit Dunkel «Tomorow’s World». Le résultat était tellement fort que j’ai eu envie d’aller plus loin en faisant un film sur eux, et surtout avec eux. Trop de films sur la banlieue portent un regard condescendant."


Puis, il s'est lancé dans le tournage de ce documentaire, avec certains des élèves ayant fréquenté ses ateliers et d'autres jeunes motivés, recommandés par des professeurs ou venus par eux-mêmes.
Il n'a pas prévenu les enfants et les adolescents des questions qu'il allait leur poser. Ces derniers ont donc accepté de figurer dans le film sans savoir à l’avance ce qui les attendait. En procédant ainsi, le metteur en scène a cherché à recueillir leur parole brute sans aucun artifice, d'où cette impression d'hyper réalisme et de toucher au vrai.


Tout est réfléchi et pensé dans ce film et c'est ce qui m'a plu. Rien n'est laissé au hazard, chaque plan est soigné. Les questions ne sont pas posées au hasard. Les mouvements de caméra ajoutent une touche supplémentaire et magnifient l'ensemble.
Les plans muets des autres jeunes tandis que l'un d'entre eux parle apporte une intensité dramatique et donne l’impression qu'on est dans un chœur. J'ai trouvé cela très réussi.


J'ai trouvé que les jeunes ressortent dans toute leur diversité, dans tous leurs charmes et dans toutes leur peurs.
Leurs émotions sont captées au plus près.


Quelques portraits de jeunes m'ont plus marqué que les autres, mais je les ai trouvé tous beaux.


A commencer par Régis. Quel numéro celui-là !
Le film s'ouvre sur lui, dans sa chambre, alors qu'il se prépare pour aller au collège et que sa mère le presse pour qu'il se dépêche, dans un travelling arrière surprenant.
Son sourire, sa manière de parler, son look sont désarmants. Il est plein de charme et son envie de se démarquer du lot et de devenir styliste est touchante.
Quand il endosse le manteau de fourrure et mime un défilé ans le collège, entourée de filles marchand comme des mannequins, on atteint l’apothéose ! Quel bagout !
Je suis sûre que Régis fera de grandes choses dans sa vie et se saura se démarquer comme il le fait dès le collège. D’ailleurs son rêve est d’habiter dans le "quartier de la Madeleine à Paris" pour exercer sa passion du stylisme.
Il faut le voir raconter des scènes de la série "Les Feux de l'Amour ! Encore un scène d'anthologie !


La triste et renfermée Aïssatou n'arrive tout d'abord même pas à prononcer son prénom, tellement elle est inhibée. Elle parle de son isolement, de sa solitude des moqueries des autres. Puis, progressivement, elle se détend. On sent que l'équipe du film l'a apprivoisée. elle se livre alors progressivement et on comprend d'où vient cette stupeur angoissé et son amnésie récurrente sur quasiment tous les sujets abordés. Elle dit à la fin du film qu'elle a davantage confiance dans les autres désormais. Je pense que le tournage doit y être pour quelque chose.
Dans la scène du parc, on la voit même éclater de rire. Cela tranche avec l'image de la jeune fille du début, prostrée enfermée sous sa capuche, enserrée dans son manteau, à l'écart des autres.


Paul, venu d'Inde, qui est habillé toujours en costume cravate dénote lui aussi. Il évoque de façon très touchante son intégration assez difficile, son père "un peu malade", les difficultés financières de la famille. La scène où il danse avec un parapluie rouge d'enfant comme Fred Astaire est absolument géniale.


On est aussi étonnés par la détermination de la très jeune Naïla, pourtant toute menue, toute fragile, mais dont le caractère fort se démarque. Elle rêve de devenir architecte pour construire des maisons plus belles et confortables que la sienne. Elle déteste Mickey et les poupées Barbie, qui selon elle, cherchent à dominer le monde (vision anticipatrice de impérialisme américain ?).


Quand Salimata pleure de ne pas avoir connu ses grands pères, on pleure avec elle, et quand Nazario parle de la relation qu'il a avec sa petite amie, on est ému aux larmes.


Dans la deuxième partie, il y a une scène d’anticipation assez extraordinaire, digne des meilleurs films de SF. Des drones qui survolent les immeubles, comme pour mieux surveiller les gens.


Les scènes de nuit dans lesquelles on voit les jeunes dans leur lit, réveillés par les bruits envahissants de la cité ou qui observent les lumières nocturnes rappellent que la vie ne s'arrête pas la nuit. Comme dit Régis, "mon quartier est assez calme, mais serein, on ne peut pas dire".


Quant à la BO, je n'aurai qu'un mot : elle est très variée, et colle super bien à l'ensemble. J'ai aimé en particulier les deux rap du très jeune rappeur aulnaysien.


Bref, vous l'aurez compris, j'ai été épatée de l'ensemble et je l'ai trouvé très complémentaire de Divines, sorti à peu près au même moment.


Moi qui connais bien la ville d'Aulnay-sous-Bois pour y avoir vécu deux ans et près de laquelle je réside depuis vingt ans, je peux vous dire que ce film sait bien faire la part des choses. Il est à mon avis, assez représentatif de la jeunesse de ces quartiers. Je ne dirai pas "de banlieue", car la banlieue est tellement diverse.


Pour en savoir plus, regardez Entrée libre sur Swagger : https://www.youtube.com/watch?v=LWIs-psz7Ik

Elsa_la_Cinéphile
9

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Créée

le 20 sept. 2017

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