Prout et Philosophie

CETTE ANALYSE CRITIQUE CONTIENT DES SPOILERS

Swiss Army Man est le premier long-métrage de Daniel Kwan et Daniel Scheinert, un duo de réalisateurs de clips vidéo, de courts métrages et de publicités. Ils sont également connus sous le nom de « Daniels ».

Le résumé
Hank est piégé sur une île après un naufrage. Alors qu’il tente de se suicider, il aperçoit un corps inerte sur la plage. C’est un cadavre qui, étrangement, pète tellement fort qu’il arrive à se propulser sur l’eau. Hank y voit une opportunité. Il monte sur le cadavre, comme sur un jet-ski, et s’enfuit de l’île. Ça, c’étaient juste les 5 premières minutes du film. S’ensuit un voyage à travers la forêt entre Hank et ce cadavre (Hank l’appellera Manny), qui deviendra sa seule chance de survie. Ce « couteau-suisse humain » (capable, entre autres, d’être une fontaine à eau, de servir de mitraillette, oui oui c’est complètement niqué) se réveille petit à petit et parle. Sauf qu’il ne se souvient de rien : il pose alors tout un tas de questions sur la vie, le corps humain, l’amour, le sexe à Hank qui lui répond du mieux qu’il peut. Ce dernier ne peut s’empêcher de reconnaître l’absurdité de certaines situations de la vie quotidienne.
Manny est sans filtre, et il ne comprend pas pourquoi les Hommes cachent leurs sentiments, alors qu’ils devraient vivre intensément. La société est pleine de contraintes inutiles. Pourquoi cacher ses pets ?

Un truc barré
Swiss Army Man est très étrange. Déjà il a un humour assez lourd qui peut rebuter (prouts, branlettes, pipi, caca tout ça). Comme dit sur l’affiche du film, une chose est sûre, vous n’aurez jamais vu des scènes pareilles, ne serait-ce que la première. D’ailleurs, l’exposition est très rapide. Nous n’avons pas le temps de nous habituer à l’étrangeté de la situation, on y est directement « plongé ». Cette étrangeté devient presque normale pour Hank qui, sans pression, va se raser avec les dents de Manny.

Pour James Franco, qui se parle à lui-même dans une analyse tout aussi barrée, nos deux personnages sont TRES intimement liés.

Semaj : D'une certaine manière, c'est comme si le personnage de Paul Dano animait le corps avec ses propres pensées et ses sentiments.
James: Exactement ! Il donne au corps sa personnalité

Est-ce la même personne ? Un miracle ou une hallucination ? En tout cas, ce cadavre deviendra son psy, son meilleur ami, son double fantasmé tout autant que celui qui le met face à ses contradictions
.
Le film est aussi étrange dans son discours : que veut-il nous dire ? Toujours dans la première scène, les questionnements philosophiques profonds de Hank («quelle trace vais-je laisser au monde ?») sont rapidement balayés par le pet du cadavre (Un pet pas si anodin puisque la mort entraine le relâchement des sphincters). Ces questionnements qui, de prime abord, semblent être inutiles seront pourtant développés et approfondis tout au long du film. C’est un voyage, un dialogue entre celui qui ne sait rien et découvre un monde absurde ; et celui qui le redécouvre.
La bande-son, faite principalement de chants tribaux nous donne l’impression d’une véritable quête spirituelle, dans un environnement hostile, mais beau.

Bien qu’assez fucké, le film reste souvent très sérieux, parfois même triste. Il est aussi très dense, avec beaucoup de dialogues et un rythme assez soutenu. On est presque noyé par ce trop-plein de thèmes différents.

Une société solitaire
Mais, peut-être qu’un thème prédomine, celui du monde adulte solitaire, trop effrayé par les rapports et sentiments humains.
Le film commence par les messages de Hank envoyés à la mer : « je ne veux pas mourir seul ». C’est un trentenaire paumé, écrasé par l'image de son père, noyé dans la culture geek et donc coupé du reste du monde, notamment des femmes qu’il a beaucoup de mal à aborder.
Grâce à Manny, la fiction et la mise en situation, Hank pourra dédramatiser ses rapports aux femmes. Les deux amis mettent en scène le coup de foudre de Hank pour une fille qu’il n’a jamais osé aborder : Sarah. Manny, dans le rôle de Hank, lui montrera que ce premier pas est tout à fait possible.

De façon plus générale, la fiction permet aussi à Hank de raconter l’histoire du monde à Manny.

If you don't know Jurassic Park, you don't know shit.

Il lui montrera les grands classiques du cinéma avec une reconstitution, par ses propres moyens, des films.

Conclusion
Swiss Army Man réussit à proposer un film dense et profond, peut-être trop même, avec un humour très gras, amené par deux acteurs au plus haut de leur forme. La performance de Daniel Radcliffe est sans doute la meilleure que j’ai vu dans sa filmographie pour l’instant. Il arrive à donner beaucoup d’émotions en restant inerte. Il reconnaîtra d’ailleurs que c’est le film dont il est le plus fier. On finit le film avec le sourire et des enseignements, non pas délirants, mais bien essentiels.