Park à son meilleur dans un film difficile, peu aimable et surtout, formidablement original et inclassable.
J'ai eu - et j'ai toujours - du mal à aimer ce film, et pourtant, je l'ai beaucoup vu. Il n'est pas fait pour. Si vous attendez un film de vengeance classique, vous serez déçus. Si vous attendez un polar classique, vous serez déçus. Si vous attendez un film sur la lutte des classes qui penche clairement du "bon côté", vous serez déçus. Il y a un peu de tout ça dans son film, mais à la sauce Park.
C'est avant tout un film sur l'absurdité et l'ironie de la vie. Tout manichéisme est banni. Ça n'empêche pas Park de nous dresser aussi un portrait noir, précis et pessimiste de la société coréenne, avec ses bidonvilles, ses suicides et ses effrayants trafics d'organes.
Il y a bien un ouvrier d'usine sourd et muet dont on décrit le travail abrutissant, le licenciement expéditif, les difficultés financières et familiales (il a la charge de sa soeur malade). Il y a sa copine étudiante qui passe son temps à distribuer des tracts politiques. Mais il y a aussi un patron pas monstrueux, parti du bas de l'échelle, élevant seul sa petite fille depuis son divorce. Enfin, il y a une famille (mère et fils) de trafiquants d'organes, les seuls qui sont réellement monstrueux et méritent leur sentence.
Tout le film est un enchaînement continu de vengeances entre tous ces personnages. La succession sans temps mort de tortures et d'exécutions confine à l'absurde et on finit par perdre de vue le point de départ de ce massacre sans fin, tout comme on est incapable d'en prévoir la fin.
En fait, tout part d'une suite de plusieurs mauvaises décisions prises par Ryu l'ouvrier handicapé. Après avoir donné toutes ses indemnités de licenciement - et un de ses reins ! - aux trafiquants d'organes en espérant obtenir un rein pour sa soeur en échange, il décide de kidnapper la fille de son patron pour obtenir une rançon. Mais, pour ne pas être soupçonné, il kidnappe la fille d'un autre patron qu'il ne connaît pas. La gamine se noie accidentellement et la soeur malade de Ryu se suicide. C'est le point de départ de deux vengeances parallèles, celle du père contre Ryu et sa copine, et celle de Ryu contre les trafiquants d'organes.
Park traite cette délirante histoire de vengeances et de hasards multiples avec le ton qui convient : l'humour (très) noir et l'ironie. Ce qui ne veut pas dire qu'on rie aux éclats, loin de là. C'est plutôt du genre : "Mieux vaut en rire qu'en pleurer." C'est quelque chose que j'aime particulièrement dans le cinéma de Park, et dans le cinéma coréen en général. Cette façon de rire (jaune) des coups du sort et de l'absurdité de la vie. Park est champion dans cet art. La frontière avec le cynisme n'est jamais loin. Comme j'aimerais connaître cet homme !
Si vous arrivez à accrocher à l'humour mordant de Park, il vous reste à supporter la violence crue, primaire, voire insoutenable des vengeances. Elle monte en puissance et atteint son paroxysme de sauvagerie - selon moi - lors de la vengeance contre la monstrueuse famille de trafiquants d'organes. On peut dire que la loi du talion est respectée à la lettre dans ce cas précis.
Ryu extrait les reins de la mère et de ses deux fils et les mange.
J'admire profondément le cinéma de Park Chan-wook pour son originalité, son ironie, son refus du manichéisme, ses personnages ambigus et son esthétisme. Ce film est difficile à aimer mais c'est un des piliers essentiels de son oeuvre.