"Herr Tartüff" est un film extraordinaire, à tout point de vue mais essentiellement pour des raisons cinématographiques. Ceux qui se sentent frustrés de ne pas y retrouver "la verve" de Molière n'ont pas compris que "ce film dans le film" est bien plus une critique des hypocrites, des tartuffes, ces faux dévots qui manipulent avec facilité les plus influençables d'entre nous (pour mieux les dépouiller), plutôt qu'une relecture fidèle du classique de Molière.


Murnau le connait très bien, Molière ; il vient du théâtre lui aussi mais il voit dans le cinéma l'expression d'une modernité passionnante, de la même manière que Tartuffe reste une œuvre contemporaine par sa représentation du mal absolu, méphistophélique. Là ou Molière joue la comédie, Murnau lui préfère un souffle tragique même si la satire n'est jamais loin. Il faut dire que Emil Jannings campe un Tartuffe plus que convaincant, passant du faux ascète (Jekyll) au fourbe libidineux (Hyde). Il faut le voir marcher (il n'apparaît qu'à la moitié du film) avec sa bible collée aux naseaux pour voir - comme Elmire, la tartufferie pointer.
Le talent de Murnau saute rapidement aux yeux ; une prédisposition évidente à maîtriser l'art du cadrage et de la mise en scène font de ce "Herr Tartuffe" un chef d'œuvre de l'expressionnisme allemand, alors que le cinématographe (muet) n'est qu'à ses balbutiements, enfermé dans un spectacle de cinéma primitif.


Murnau est déjà l'égal de W. Griffith, son rival, sans oublier Chaplin. Ils possèdent tous deux une grande conscience du potentiel cinématographique et des possibilités narratives et visuelles que le cinéma peut offrir. La couleur dominante est l'orange comme le veut l'époque, la musique renforce chaque scène et donne un souffle incroyable à l'ensemble, d'une rare intensité depuis Eisenstein et son fabuleux Cuirassé « Potemkine ». Il faut préciser que la version présentée par Arte est non seulement restaurée mais qu'on retrouve la musique de Giuseppe Becce dans une orchestration de Detlev Glanert qui rend ce film muet plus saisissant que jamais.


A voir absolument, d'une façon ou d'une autre !

Yeahmister
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le 30 nov. 2015

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