Présenté à Locarno, Terminal Sud, thriller politique âpre et concis, marque le retour attendu d’Ameur-Zaïmeche, quatre ans après son sublime Histoire de Judas. Dans un pays où une guerre civile menace la population et ceux qui la protègent, un médecin cherche à accomplir son devoir, quoiqu’il puisse lui en coûter.


Comme son prédécesseur, Terminal Sud illustre la formidable puissance d’évocation du cinéma du réalisateur franco-algérien. C’est à partir de trois fois rien - un paysage écrasé par la chaleur et le chant trompeur des cigales, une exaction militaire à l’encontre de civils démunis, une série d’enlèvements par des hommes de main cagoulés – que le cinéaste plonge son spectateur au cœur d’un pays aux contours géographiques et temporels flous mais au climat politique chargé de signes funestes. C’est au milieu de ce magma violent et chaotique que se dresse, à contre-sens même du cours de l’histoire, la figure tellurique et insulaire du médecin incarné par Ramzy Bédia, corps simultanément massif et hésitant. Attaché par un amour inconditionnel à sa terre maternelle, celui qui n’est jamais nommé autrement que « Docteur » entre en résistance malgré lui, plus par rigueur et habitude professionnelle que par une véritable inflexion morale. Par l’examen obstiné du corps de ses patients, par la recherche des symptômes et des maux qui les rongent, par ses questions qui gênent ou rassurent, le Docteur ausculte un corps social malade, atteint par le mensonge et contaminé par une peur sourde.


Ce que scrute avec précision la caméra d’Ameur-Zaïmeche, c’est ce lent délitement des êtres et des liens qui les unissent sous ce régime de terreur, le nouvel ordre remettant en cause le le sens même de l’acte de soigner. Au son des crissement de pneumatiques et des claquements de portes métalliques, les masques et les cagoules surgissent partout dans la nuit de la cité, au point qu’il semble illusoire de vouloir distinguer la police des présumés terroristes, comme la rumeur de la vérité - Terminal Sud présentant un étrange parallèle à la série Watchmen de Damon Lindelof, adaptée du roman graphique éponyme et actuellement diffusée sur HBO. On pense aussi à Une vie violente de Thierry de Peretti, dans la manière qu’à le personnage de Ramzy Bédia d’incarner à lui seul, modestement, dans ses errances et ses rares certitudes, l’ensemble des luttes politiques et intimes qui secouent un territoire, magnifiquement cadré par l’intelligence des dispositifs de Rabah Aimeur-Zaïmeche, dépouillés mais constamment justes, et toujours à hauteur des enjeux humains.

Corentin_D
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le 14 janv. 2020

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C DD

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