Tesnota est le grand gagnant du festival Premiers Plans 2018, après avoir remporté le prix Fipresci de la critique internationale à Cannes 2017 (comme 120 battements par minute de Robin Campillo) – et il le mérite.


Le film nous emmène au cœur des conflits entre les communautés juives et kabardes du Caucase du Nord, à la fin des années 90. Ilana (jouée par Darya Zhovner) a 24 ans quand son petit frère et la fiancée de celui-ci sont kidnappés par des Kabardes qui demandent une rançon – le réalisateur s’inspire ici d’un fait divers qui a marqué sa propre enfance. Plutôt que d’appeler la police, la famille dévastée d’Ilana s’en remet à la communauté juive pour tenter de réunir la somme nécessaire à la libération du couple. Mais c’est un échec, et c’est à la sauvage Ilana que l’on demande de sacrifier sa liberté pour sauver celle de son frère.


Dès les premières images, le format presque carré du film (1:33) pose un espace restreint dans lequel les choix des personnages seront toujours limités, voire inexistants. Cette exiguïté visuelle contraste avec l’énergie et la fougue de l’actrice Darya Zhovner, dont c’est le premier film et qui y est frappante de justesse.


Le début du film est une suite de tableaux qui exposent les relations complexes entre les différents membres de la famille d’Ilana : d’abord la complicité avec son père, dans le garage dans lequel ils travaillent ensemble ; puis la discordance avec sa mère, quand Ilana se retrouve incapable de râper les carottes pour le dîner. La jeune fille s'en va alors retrouver son amoureux qui, pour rire (haha), fait semblant de l’enfermer dans le coffre de sa voiture : le plan qui suit, un peu trop long pour ne pas être dérangeant, annonce l’ambiance claustrophobe qui marque l’ensemble du film.


Du début à la fin, on est cloué à son fauteuil, hypnotisé par le cadre saturé de couleurs électriques, l’intensité du jeu de Darya Zhovner, le flash aveuglant lors d’une scène dans une boîte de nuit et la violence qui règne, omniprésente et pourtant extrêmement subtile. Quand elle est montrée ou dite, elle est soit floue, soit sous-exposée, soit recouverte par autre chose. Impossible d’oublier par exemple la scène géniale où sa mère dévoile à Ilana les conditions de libération de son frère. Pile au moment où elle prononce la phrase fatidique, celle qui pourrait sceller le destin de sa fille, elle allume le sèche-cheveux : le souffle bruyant couvre le son de sa voix. Dans une autre longue et presque insoutenable scène d’un viol, l’image est obstruée par un fatras d’objets et une lumière rouge.


C’est donc un film qui parle de religion, d’amour, de tradition, de sexe, de la famille et des rapports hommes/femmes… Un film politique, situé dans un contexte géopolitique bien précis, mais aussi et surtout une épopée philosophique, qui pose un problème impossible à résoudre : faut-il se sacrifier pour sauver un proche ? La fin du film est extraordinaire, mais je ne vous en dis pas plus – allez le voir !

Créée

le 14 mars 2018

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