Bat-dépression

A 55 ans, Matt Reeves n'est pas le réalisateur le plus prolifique de l'Histoire, avec seulement six films à son actif jusqu'ici. Néanmoins présent sur le grand comme sur le petit écran, on pourrait probablement débattre de l'œuvre la plus intéressante de l'américain sans parvenir à faire consensus.
D'aucuns se souviendront du fameux Cloverfield qui avait marqué l'année 2008, à l'époque où le found footage était à la mode. Plus récemment, on lui devait également deux épisodes de "Planet of the Apes" qui restent sujets à discorde.
Toujours est-il qu'après la trilogie de Christopher Nolan, qui aura incontestablement marqué son époque et qui reste encore "fraiche" dans les esprits, on attendait The Batman version Matt Reeves avec une certaine retenue.

L'univers de Batman a été décliné à travers à peu près tous les médias possibles: comics, cinéma, séries, dessins animés, jeux-vidéo...Et autant d'approches différentes de Gotham City et de sa sympathique population. Rien qu'au cinéma, puisque c'est ce qui nous intéresse ici, les films sortis ces trente dernières années dépeignaient des visions très variées du héros de DC Comics.
Dans cette mouture 2022, Matt Reeves ne s'est finalement pas tant éloigné que cela de la trilogie de Nolan, et ce dans la mesure où on a ici affaire à une approche qui se veut relativement réaliste.
A la différence des films de Nolan, Reeves n'a cependant pas cherché à expliquer la génèse de l'homme chauve-souris puisque l'histoire débute environ deux ans après les débuts de sa "prise de fonction". Il collabore déjà avec Jim Gordon mais le reste de GCPD n'a pas vraiment l'air de lui faire confiance, et les habitants de la ville semblent encore peu le connaitre.

Partant de cette posture, ici, il n'y aura point de super-vilains aux facultés abracadabrantesques, point de Bruce Wayne tout puissant non plus. Notre héros est au contraire, à l'évidence, un homme plus que jamais vulnérable. Pas tant en matière de lutte contre le crime (bien qu'il montrera des failles là aussi), mais plutôt dans sa quête personnelle de justice. Le personnage incarné par Robert Pattinson semble en effet ne s'être jamais remis de l'assassinat de ses parents et tout ce qu'il entreprend n'est guidé que par une fuite en avant constante. Bien moins fringuant que celui auquel on est habitué, Bruce Wayne est ici avant tout un jeune homme profondément triste et frustré de ne rien changer à la violence qui ronge sa ville, tout comme par son incapacité à élucider le meurtre de sa famille.

Batman est une licence qui a été tellement déclinée de différentes manières que chacun a, dans son imaginaire propre, une vision assez précise de ce à quoi devrait ressembler ses personnages et le théâtre qu'est Gotham City. Chaque nouvelle appropriation, chaque nouveau parti pris, est donc nécessairement susceptible d'en décevoir certains.
Ici on imagine assez peu que la ville puisse susciter de la controverse. Loin de l'architecture baroque et de l'ambiance dystopique du Batman de Tim Burton, Gotham version Matt Reeves est plus proche de celle de Nolan, mais avec un caractère sombre et poisseux exacerbé.
Ce sont davantage les personnages qui ne plairont pas forcément. On l'a dit Bruce Wayne sous anti-dépresseurs, on y avait pas forcément était habitué, ou du moins, ce n'est pas sous ce jour qu'il est le plus connu. De même, l'habituelle opulence dans laquelle il est supposé évoluer semble moins évidente cette fois. Wayne Manor apparait bien morose, et la vie professionnelle et sociale de Brucie est à l'évidence proche du néant. Heureusement que Catwoman, interprétée par une Zoë Kravitz convaincante, viendra mettre un peu de vie dans l'existence de Batou.
Concernant les "méchants", the Riddler apparait cette fois comme un "banal" psychopathe, loin de l'image excentrique à laquelle il est généralement associé. Il faut reconnaitre qu'il manque probablement quelque chose à ce personnage, malgré son rôle central.
On retrouve également quelques autres figures bien connues comme le Pingouin et Carmine Falcone, qui cadrent bien avec intrigues politiques et histoires de corruption, loin des Mister Freeze, Double Face et autres Poison Ivy -tous absents- probablement à juste titre, tant les personnes les plus excentriques de la mythologie auraient été difficiles à intégrer à cette histoire.

The Batman 2022 est sans aucun doute un film qu'on qualifiera a minima d'intéressant tant il propose une lecture inédite de la saga.
Si certains comics avaient déjà exploré la psychologie de Bruce Wayne de manière assez prononcée, c'est probablement la première fois que l'héritier milliardaire se montre aussi torturé au cinéma. Sur le fond, on pourra toujours débattre de savoir si Pattinson est ou non un "bon Bruce Wayne", mais en tout cas, son interprétation ne laissera pas indifférent.
Il ne serait pas illégitime de reprocher quelques choix concernant les autres personnages du film, tantôt parfois trop éloignés de leur caractère original (The Riddler...), tantôt trop effacés (Alfred Pennyworth en tête).
Mais force est de constater qu'il se dégage quelque chose de The Batman. On n'aurait pas pensé un jour survoler Gotham City au rythme du lancinant Something in the Way de Nirvana, ni trouver enfin cette ambiance de polar noir qui semblait réservée aux Batman version comics.
Matt Reeves nous offre donc une vision, sobre et sombre, en rupture avec l'approche "blockbuster" de certains de ses prédécesseurs. En tout état de cause, il est parvenu à donner une identité propre à son film et c'était évidemment essentiel en se lançant dans un nouveau Batman en 2022.
Reste que nos expériences passées avec l'homme chauve-souris viendront immanquablement influencer notre jugement sur ce nouvel opus et à ce titre, il est peu probable que celui-ci fasse l'unanimité.