Avis à chaud - Les limites du genre super-héroïque

Ce nouveau Batman est comme le nouveau Joker d'il y a deux ans : après un détour par un univers cinématographique déjà pas terrible à la base et encore pourri par la suite, on nous offre un film d'auteur de studio avec des enjeux plus sobre et un style affirmé inspiré d'un grand auteur. Après le clown scorsesien, voici la chauve-souris fincherienne. Et comme pour Joker, c'est pas si mal mais le film est incapable de s'affranchir des limites des blockbusters de ce calibre.

Dans cette version, Batman est censé être violent et vengeur, mais que dalle : il ne retient pas ses coups, certes, mais sa violence n'est jamais gratuite (il ne va pas castagner un vilain qui s'enfuit par exemple), et je ne vois pas ce qu'il a de vengeur. Un super-héros qui se venge, ça donne Spider-Man 1 ou 3, on est submergé par la culpabilité du personnage et on souffre de le voir mal agir. Ici, on a juste un émo qui instrumentalise sa colère pour faire le bien, mais du coup on n'a pas grand chose à lui reprocher. Bref, il ne faut surtout pas en faire trop, sinon le film risque d'être nuancé, ohlala quel drame.

Et c'est pareil pour Thomas Wayne : on lui donne une part d'ombre, il aurait fait assassiner un journaliste pour sauver sa campagne, mais finalement il ne voulait pas vraiment l'assassiner + il ne le faisait pas pour lui mais pour sa femme et son fils + il était sur le point de dénoncer le meurtrier avant de se faire buter. On aurait pu explorer la désillusion d'un fils, puis la culpabilité que son père soit un salaud, mais non, le politicien millionnaire est en fait un gentil (car c'est bien connu, un politicien c'est un connard corrompu, mais si c'est un millionnaire qui possède un orphelinat ça devient un saint).

Qu'est-ce qui est sombre ou torturé dans tout ça ?

Et le vilain, physiquement il est pas mal, mais encore une fois, le film a le cul entre deux chaises : on veut un peu lui donner raison (comment lui en vouloir de s'en prendre à des politiciens corrompus ?), mais en même temps comme c'est un méchant, il finit par s'en prendre à Bruce (juste à cause de sa filiation) et à la population parce que blablabla pour créer un monde meilleur détruire l'ancien bref c'est un méchant. Vraiment, c'est dommage de ne jamais assumer la nuance de ses antagonistes et de les réduire à des victimes qui sont devenues folles et sanguinaires.

La romance, parlons-en : elle n'est pas crédible pour un sou, en fin de film Catwoman propose à Batman de la suivre dans une autre ville alors qu'elle ne connait même pas son identité secrète et qu'ils se sont embrassés deux fois, et puis quoi encore ? Ce sont des collégiens ? Rien n'est développé, à la limite si on les avait vu coucher ensemble et que ça marchait bien je ne dis pas... Mais comme c'est un film de super-héros, il n'y a rien... J'ai de plus en plus de mal avec l'absence de sexualité dans ces films, vu que les réals ne prennent jamais le temps de développer les relations entre les personnages, elles deviennent de fait magnétiques, donc pourquoi ne pas utiliser cette attraction inexpliquée comme de l'attirance sexuelle puissante ?

Et pour finir, le climax est complètement hors sujet. C'est souvent comme ça dans les films de super-héros : on développe une intrigue avec plein de thématiques et de conflits, mais tout se résout avec de la castagne presque sans lien avec le reste. C'est stupide. The Dark Knight était bien plus intelligent : en parallèle du duel Batman / Joker, il y avait un duel sur la bonté des habitants de Gotham, puis une confrontation avec Double-face où ce n'est rien de plus qu'un dialogue. Même dans Civil War, qui est pourtant bien formaté dans son genre, le combat final était lié au scénario : Tony veut se venger de Bucky, Bucky veut fuir, Steve veut protéger Bucky. C'est con mais ça fonctionne, même si c'est mal filmé on s'y intéresse. Dans ce Batman, c'est de la castagne bête et méchante, et vu la laideur du climax (qui a choisi ce lieu de confrontation et ces inondations dégueulasses ?), c'était vraiment pas la peine.

Bref, clairement tout ça ce sont les limites des films de super-héros. Mais c'est d'autant plus dommage parce que lorsqu'il quitte ces quelques écueils, le film fonctionne vraiment bien : je trouve la scène où Bruce va à l'hommage du défunt maire très réussie, on sent que le gars ne sort pas de sa grotte tous les jours, un véritable malaise s'installe, et la photo vintage bizarre est très belle. De manière générale, la photo et les décors sont vraiment la plus grosse qualité du film (pendant ses deux premières heures du moins), le côté gothique sobre vintage fonctionne. Le méchant, quand il ne part pas dans son surjeu Joker eco+, a vraiment du charme, on sent qu'il est détruit et son visage jouflu le rend attachant. Les mises à mort et tortures sont très réussies car ça n'en fait jamais trop ; lorsque Riddler filme un mec et le retransmet en direct, le réal se contente d'un plan fixe montrant l'écran de la télévision. C'est tout con, mais c'est d'une sobriété bienvenue. Et de manière générale, l'ambiance de Gotham est très réussie, on sent que c'est la merde et en même temps, ça a le charme d'une ville fictive.

Donc finalement, c'est pas si mal mais toujours en demi-teinte, un cran au-dessus de Joker mais à mille lieux d'un The Dark Knight (qui était bien plus généreux et intelligent). Peut-être qu'en mettant un véritable auteur à la barre, qui ne se contentera pas de singer le style d'un réal et de suivre tous les codes du blockbuster super-héroïque, le prochain film d'auteur de studio de DC sera vraiment bon ?