The Batman est une oeuvre fascinante dont l'ambition cinématographique dépasse de loin tout ce que le spectateur a connu ces dernières années dans ce genre et dans bien d'autres. Autopsie d'un chaos virtuose.


Le Chaos est Mental. Deux ans que Bruce Wayne porte le masque. Ce qui ressort de ses premiers pas narratifs, c'est l'extrême fragilité du personnage derrière le masque que l'on ne voit presque jamais. De ce déni identitaire, se profile les contours d'une simili origin story réinventée, d'un apprentissage toujours plus profond, plus marqué. Batman n'est pas encore Batman, il est La Vengeance. La symbolique, aussi noble soit-elle, peut inspirer les mauvais. Ce postulat est le pilier central d'un univers qui mettra 20 ans de ressentiments de Bruce Wayne, caché derrière son masque, au défi des rencontres prophétiques d'une ville en perdition.


Enfant de la nuit, Batman est totalement (dés)incarné par Robert Pattinson. Plus torturé, plus humain, plus fragile, plus vrai. La remise en cause d'un certain aspect de la légitimité de l'action de son alter-ego justicier provoque d'incroyables situations où l'écriture brille par sa constante dramatique. Sa dualité avec Alfred, son lien de confiance avec Gordon, sa tension avec Selina et son rapport aux vilains sont autant de sources passionnantes alimentant une enquête palpitante, légitimant ainsi un cheminement narratif accompli.


Ressentir jusque dans nos tripes l'impuissance et les maladresses physiques et plonger au coeur du labyrinthe émotionnel d'un (anti)héros, transforme une simple enquête en une quête énigmatique transcendantale où la vérité des faits se confond avec les mensonges que le justicier s'inflige à lui-même. L'émergence d'un symbole qui ne sait pas encore ce qu'il pourrait représenter dans une Gotham plus instable que jamais.


Le Chaos est Graphique. La violence physique et psychique des personnages de The Batman de Matt Reeves passe par le jeu formidable et nuancé de sa prestigieuse distribution. Robert Pattinson, Zoë Kravitz, Jeffrey Wright, Andy Serkis, Paul Dano, John Turturro et Colin Farrell pour ne citer qu'eux), mais aussi par son atmosphère suintante.


La démarche artistique est littéralement titanesque. Greig Fraser est un directeur de la photographie visionnaire. Jamais la nuit n'a semblé si cauchemardesque d'humidité et de sueur, de sang suggéré par des images tintées de violence et de terreur. À cela s'ajouter la réalisation de Matt Reeves, iconique dans la représentation de son symbole inspirant l'épouvante. D'un pas lourd Batman s'avance, d'un mouvement lent le vengeur tourne la tête, défiant ses ennemis et les soumettant par l'intensité magnétique de son sinistre regard souvent filmé en gros plans par Matt Reeves pour souligner ce côté désabusé d'un personnage dont il a compris l'essence des tenants et aboutissants.


Une pluie récalcitrante dans cette Gotham organique accentue une gravité profondément ancrée dans l'esprit médusé du spectateur. Les insistantes et sinistres notes musicales de Michael Giacchino accompagnent la terreur que représente un Batman toujours plus ambigu dans les impressionnants plans inventifs de son maître marionnettiste cinéaste.


Le chaos est Pluriel. Les influences de Matt Reeves sont éclectiques et étrangement évidentes tant le mariage des genres compose la singularité de l'oeuvre. Un thriller noir très inspiré de ses aînées, Seven de David Fincher et Taxi Driver de Martin Scorsese en tête, dans une Gotham imaginé comme une pluralité d'inspirations comics et de réalisme. L'excellente interprétation de Jeffrey Wright en Gordon est directement issue de Batman Année Un de Frank Miller quand l'atmosphère du film est très proche du travail du duo Loab/Sale sur leur diptyque Un long Halloween/Amer victoire. Plus étonnant, le style du dessinateur Andrea Sorrentino ressort beaucoup, comme certains aspects narratifs des auteurs/dessinateurs Sean Murphy et Jeff Lemire. On pourrait continuer des heures à décortiquer tout cela. L'ensemble est déroutant dans sa diversité tout en étant étonnement accepté dès les premiers plans du long-métrage.


Quant à elle, héritière de l'esprit comics, il y a cette armure que l'on pourrait légitimement définir comme "légèrement abusé du fion sa maman" et pourtant très vite acceptée comme étant l'image de la dualité de son porteur, indestructible de l'extérieur et brisé à l'intérieur. Les vilains sont eux aussi victimes de la caricature comics et arrivent eux aussi à exister dans un univers toujours plus crédible malgré ses nombreuses influences contradictoires. C'est l'ampleur de ces antagonistes qui marque avant tout. Reste un PG-13 qui fait tâche, mais largement contrebalancé par un climat ambiant malsaine et délétère.


Le chaos est Virtuose. Dans ses longueurs paradoxalement nécessaires, le thriller de Matt Reeves trouve une véritable identité visuelle et thématique qui marquera durablement un genre du cinéma qui s'effondre à mesure qu'il engrange des sommes colossales. The Batman serait presque un ovni, mais il est avant tout une promesse. La promesse, d'un réalisateur ambitieux et audacieux et d'un acteur qui ne l'est pas moins, d'une nouvelle ère de films de "super-héros", si l'on peut encore légitimement nommer l'oeuvre de Matt Reeves ainsi.

MassilNanouche
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le 5 mars 2022

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