Batman est mort, vive Bruce Wayne !

Cette chronique est susceptible de divulgâcher des éléments importants de l'histoire. Je vous invite à voir le film avant de lire ce papier.


Héroïsme ; Super-héroïsme ; Corruption ; Inégalités ; Terrorisme ; Justice


La ville de Gotham est gangrenée par la corruption et les meurtres de hautes personnalités dans la ville se multiplient. À l'approche des élections municipales, le lieutenant Gordon sollicite l'aide de Batman pour résoudre cette affaire tentaculaire qui soulève de nombreux secrets.


Dans quelle mesure, le réalisateur Matt Reeves, renouvelle-t-il l'image (super) héroïque de Batman ?


I. Un univers sombre où subsistent les reliquats d'un super-héroïsme d'antan.


C'est un portrait bien sombre que brosse le réalisateur de The Batman, campé ici par Robert Pattinson. Difficile d'endosser la cape après Michael Keaton, Val Kilmer, Georges Clooney et Christian Bale pour ne citer qu'eux. J'avais moi-même beaucoup de réticences à voir le vampire de Twilight, chétif, au visage anguleux et aux cernes creusés incarner le preux justicier de Gotham. Et pourtant. Vous me direz, après l'interprétation vulgaire de Jared Leto, nombreux sont ceux qui pensaient impossible de passer après Heath Ledger pour incarner le Joker. Et pourtant. La prestation de Joaquin Phoenix impressionna. Bon. Fin de l'aparté. Pour en revenir à Pattinson, je dirais que cette allure de jeune rebelle épouse parfaitement l'ambiance sombre et morose du film. Même si j'émets des réserves sur le khôl autour des yeux de notre héros qui le décrédibilise plus qu'autre chose. Cédric Diggory en bad boy déprimé ça va 5 minutes. Rajoutez un blouson en cuir avec l'inscription « No Futur » dans le dos et je quittais la salle. Je voyais déjà les critiques Télérama « Un héros oui, mais avec des fêlures ». C'est bon j'arrête.


Alors oui, les b.a. -ba de la mythologie batmanienne résistent : le costume, le masque, l'ombre de chauve-souris projetée, le cloaque aux airs new-yorkais. On ne déroge pas à la règle ici (et c'est bien dommage). Toute cette atmosphère reste un terreau favorable à cette obscurité. Mention spéciale au plan inversé où le Pingouin aperçoit Batman surgissant des flammes derrière lui. Que voulez-vous on ne se refait pas, un beau plan fait toujours son petit effet. Mais l'atmosphère est différente. L'ambiance est lente, morne et étrangement banale. C'est là que réside à mon sens l'originalité de l'œuvre, et ce pourquoi ces trois heures valent (plus ou moins) la peine. Ici, pas d'homme génétiquement modifié suite à une expérience militaire (Bane), pas d'aliéné au rire démoniaque (Joker) encore moins de savant fou possédé (L'épouvantail). Batman doit affronter la corruption, les complotistes, les organisations criminelles, les secrets de famille. C'est ce qui nous rend la menace d'autant plus familière. Ainsi, malgré cette fin grandiloquente, digne des films de catastrophes les plus capillotractés, toute l'intrigue reste crédible. Enfin, par-dessus tout, la musique de Michael Giacchino (que j'ai écouté en boucle sur le chemin du retour pour rester dans l'ambiance) parachève l'obscurité totale de l'œuvre.


En résumé, Matt Reeves convoque un Batman beaucoup plus sombre qu'à l'accoutumée. Le réalisateur abandonne par moment, et c'est bien là sa force, les effets de mise en scène inutiles. Comme le Joker de Todd Phillips, le Batman apporte avec lui son humanité.


II. Désacralisation de l'image super-héroïque


Bien sûr, l'une des spécificités de Batman est que, ce n'est justement pas un super-héros. Il ne vole pas (du moins pas de manière surnaturelle), il n'est pas invisible, il ne court pas hyper vite. Il est juste hyper riche. C'est un justicier masqué, comme le souhaitait Bill Finger dès sa création. Comme le personnage de Zorro, créé près de deux décennies plus tôt, Batman est davantage un détective qu'un super-héros (ne m'en voulez pas, poursuivez la lecture je vous en supplie).


Meilleur Hercule Poirot de Gotham City, s'il y en est ! Il n'en demeure pas moins que la tentation de dépeindre ce personnage comme un véritable super-héros, pour plaire à la machine hollywoodienne était grande : cascades à vau-l'eau, force surhumaine, costume et voix extravagants. Matt Reeves remet (à peu près correctement) l'église au milieu du village, et ça fait du bien. Même s'il tombe inévitablement par moment dans les travers de cette industrie : facilités, caractère impersonnel, vulgarité.


En effet, car c'est une proposition réellement intéressante que formule le réalisateur. Un Batman taciturne, empreint de doutes (notamment sur sa propre utilité au sein de la société) et même sentimental (même si le plan éculé à la Fast & Furious de la fin entre Batman et Catwoman m'a laissé de marbre). Si Christopher Nolan a bien œuvré dans l'humanisation du personnage, Matt Reeves va plus loin, pas assez loin à mon goût.


Aussi, cette dualité Bruce Wayne / Batman ; Peter Parker / Spiderman ; Clark Kent / Superman, classique des DC et Marvel, le réalisateur la travaille habilement et on la retrouve de manière assez amusante par moment. Dans la différence de traitement entre Batman et Bruce notamment. Le premier détesté par les policiers et le second adulé par certains d'entre eux. Le premier craint par la mafia, le second qu'elle indiffère sinon intrigue. Beaucoup de personnages sont des volte-faces dans le film, à l'image du Double-Face, tout le monde a son côté chevalier blanc et son côté chevalier noir. Un aspect qu'on aurait voulu voir plus travaillé. Toutefois, cette dualité sert également le récit pour rendre plus humain le héros.


Les scènes en boîte de nuit manifestent particulièrement cette idée. On voit dans un premier temps LE BATMAN tout écraser sur son passage, casser des bouches et des nez tout du long et affirmer sa carrure de super-héros. Puis, dans un second temps, le réalisateur emprunte les mêmes angles de caméra en filmant une scène similaire mais cette fois-ci ce n'est plus Batman mais BRUCE WAYNE. Là, c'est une autre paire de manches. Certes, le nabab rentre sans encombre grâce à sa notoriété, mais il fait beaucoup moins de vagues. Le réalisateur le dépeint faible, vulnérable et esseulé. À notre hauteur d'homme finalement.


Vulnérable. C'est le mot. On le voit interpellé par la police, soumis à leurs regards et jugements, on le voit inquiet, on le voit patiner dans la semoule jusqu'à ce qu'on lui délivre certains indices. La frayeur partagée à l'égard de Batman laisse place à une sorte d'indifférence qu'il est assez plaisant de constater. Il n'a plus les facilités d'antan. Dès lors, comme le début du film nous le fait comprendre, Batman se résume à une ombre, sans artifice, que les petits malfrats de la ville craignent et qui se terre dans des souterrains lugubres. Ce n'est plus la présence de Batman qui effraie, c'est son absence, ou plutôt sa supposée présence. Ce n'est plus un héros en action, c'est un héros en puissance. On l'imagine et le fantasme. Dès lors, Bruce Wayne se résume à un nanti abhorré du peuple, incompris par les barons des « collyres », isolé dans sa tour d'ivoire tandis que Batman se résume à un super-héros en perte de repères.


Toutefois, ce que l'on est navré de constater c'est que la figure de Batman n'est pas figée. Elle oscille entre celle d'un super-héros sans pouvoir, d'un enquêteur noctambule, d'un James Bond aux gadgets innombrables. Mais finalement, Batman ne serait-il pas tout simplement un justicier lambda.


III. Un héros du peuple.


Dans un dernier geste que l'on pourrait aisément qualifier de nanardesque par bien des aspects mais qui brille par ses maladresses, Matt Reeves approche quelque chose d'intéressant. Il propose une redéfinition du super-héros. Une redéfinition bien plus politique, ce qu'était le super-héros à l'origine d'ailleurs. Ici, c'est un héros qui peine à se battre, à mains nues, sans artifice et surtout sans effet de mise en scène surlignant ses prouesses. C'est un héros à notre portée. Dans une dernière action Batman obtient une réponse à ces doutes lancinants et trouve son salut dans son sacrifice pour le peuple qu'il protège. Il chute. Se laisse choir de sa tour d'ivoire. Musique de violon. Puis, sortant la tête hors de l'eau alors qu'on le croyait mort. Musique épique. Il tend la main modestement au peuple. Bien que lourdement soulignée par une mise en scène pompeuse, cette action repolitise le héros : un justicier qui se bat pour la démocratie. C'est la quintessence du héros américain, intègre et droit, qui sape finalement tout le travail entrepris de déconstruction entrepris par le réalisateur. Batman redevient le Batman vu et déjà-vu.


Parce qu'au fond, ne l'oublions pas, Batman n'est qu'un homme sans superpouvoir qui rend la justice. Toutefois le propos du film proposait de déplacer ce curseur. Le fait de ne plus marteler comme un mantra ridicule : « LE BATMAN » (prononcé avec une voix grave) mais plutôt « VENGEANCE », confère de l'humanité au personnage. Ce n'est pas un homme de justice mais un homme qui applique la loi du Talion. Mais le film peine à assumer ses idées. La proposition filmique reste trop timide pour innover et renouveler durablement quoique ce soit.


En résumé, j'ai passé un bon moment devant ce film. Matt Reeves propose une redéfinition intéressante du super-héros et convoque un Batman assez inédit, très sombre. Je regrette toutefois qu'il n'aille pas plus loin dans sa proposition, tant dans la psychologie du personnage que dans le scénario à travers la révélation de l'identité de Batman mais aussi sur le groupe terroriste formé par le Sphinx.


« Tous les héros ne portent pas de cape. »

Moodeye
6
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Les meilleurs films de 2022

Créée

le 12 mars 2022

Critique lue 98 fois

3 j'aime

Moodeye

Écrit par

Critique lue 98 fois

3

D'autres avis sur The Batman

The Batman
JasonMoraw
8

The Dark Angel

Tim Burton avec Michael Keaton, Christopher Nolan avec Christian Bale, Zack Snyder avec Ben Affleck. Batman est un des super-héros qui cumule le plus de nouvelles adaptations jonglant entre des...

le 2 mars 2022

195 j'aime

30

The Batman
Moizi
3

Tokio Hotel, le film

Sur les cendres de l'univers partagé DC et l'abandon du film Batman de Ben Affleck surgit une nouvelle adaptation, un nouveau Batman, avec cette fois Robert Pattinson dans le rôle titre, le tout...

le 2 mars 2022

183 j'aime

55

The Batman
Sergent_Pepper
7

Drowning in the rain

L’Histoire, on le sait, s’accélère : alors que le filon des super-héros semble intarissable, l’éternel retour des grandes figures génère un enchaînement de versions, recyclages et reboots qui...

le 6 mars 2022

173 j'aime

10

Du même critique

Rien à foutre
Moodeye
5

Un avion peut en cacher un autre !

Cette chronique est susceptible de divulgâcher des éléments importants de l'histoire. Je vous invite à voir le film avant de lire ce papier. Quotidien ; Famille ; Avenir ; Réalisme ; Deuil ;...

le 14 mars 2022

27 j'aime

1

A Ghost Story
Moodeye
7

LA BOUCLE EST-ELLE BOUCLÉE ?

Mort, Deuil, Fantôme, Oubli, Souvenir, Résilience, Impuissance, Éternité, Histoire : Après le décès de l'un des deux membres d'un couple se dresse un parallèle poétique, qui tente de faire...

le 12 janv. 2018

23 j'aime

18