La valija de Benavidez adapte à l'écran l'histoire de Samanta Schweblin, un conte dans lequel la frontière entre la folie et le talent est quasiment indicible. De Huysmans à Milos Forman, les artistes dont la vocation première est l’exploration de leur propre art ont toujours lutté avec des problèmes découlant de leur fonction d'agents créatifs. Le second long-métrage audacieux de Laura Casabe aborde cette question à travers un récit ambitieux, mais qui ne tient toutefois pas toutes ses promesses.


Explications:


Le film s’ouvre sur un immense manoir, propriété du Dr Corrales (Jorge Marrale) un psychiatre qui y exploite une résidence pour jeunes artistes, un lieu où tout un chacun peut travailler sans se voir troubler par les distractions et préoccupations quotidiennes. Outre l'hébergement et le matériel de travail dont ils bénéficient, le récit s’attarde plus spécifiquement sur les services psychiatriques fournis par le docteur, qui leur permettent de canaliser toutes leurs expériences les plus intenses dans la production artistique. L’histoire bascule soudainement lorsqu’un homme du nom de Benavidez (Guillermo Pfening) débarque un soir avec une grande valise, demandant à être expressément traité par le psychiatre. Chose que le docteur accepte à contrecœur. L'attitude d'abord réticente du médecin change du tout au tout lorsqu’il découvre que la valise de Benavidez contient une œuvre d'art merveilleuse qui pourrait être en mesure de sauver la résidence de sa difficulté à rester rentable…


L’exploration de l’art, de la peinture plus précisément, étant le sujet principal de ce métrage, il est tout naturel que son élaboration, notamment visuelle, soit particulièrement réfléchie, ainsi, il s'ouvre sur une série de scènes soigneusement encadrées, rappelant la mise en scène minutieuse de David Lynch. Le personnage auquel le titre fait référence, Benavidez (Guillermo Pfening), se déplace d'une pièce à l'autre, de tableau en tableau, arrivant peu à peu à la conclusion que son art fait partie intégrante de son être. La "Valija" que l’on peut traduire par "valise" ou "sac" dans la langue de molière, fait de son côté référence à une forme d’enfermement, opposée à l’aspect généralement libérateur de l’art. Une telle entrée en matière pourrait laisser penser que l’on a affaire à une œuvre sans équivoque au niveau de ses intentions, mais ce film est bien loin d’être simpliste, bien heureusement.


Casabe utilise en effet une succession de méta-intrigues secondaires aux côtés des couches principales du scénario, satirisant la manière dont le monde de l'art peut redéfinir les choses les plus simples à travers la convolution. Au fond, il s’agit simplement de l’histoire d’un homme vulnérable qui essaie désespérément de se comprendre, bien qu'il parvienne sans mal à se rendre compte qu'il fut un temps où il était plus heureux, lorsqu’il pouvait se complaire dans sa simplicité. Son état d’esprit est ici opposé à celui de son thérapeute, qui développe un autre genre de folie, tiraillé entre son objectif de reconnecter son patient au monde réel et sa vocation de développer son art au maximum. C'est sur ces tensions, ainsi que sur les questions morales complexes qui en découlent, que se concentre le film, débouchant au final sur des révélations potentiellement choquantes, mais minutieusement minimisées dans le but de ne pas détourner l’attention du spectateur du but premier de l’intrigue.


L’intrigue, pour en parler, est intéressante dans la synthèse qu’elle propose autour de l’histoire de Benavidez et de son art, elle parvient à se complexifier sans qu'il soit nécessaire de faire appel à des astuces de scénario alambiquées. La complexité est davantage mise avant au travers des simples questionnements de nos personnages et de la distillation minutieuse des informations nécessaires pour reconstruire le puzzle de leur esprit. Au final, les quelques scènes de flash-back peu inspirées sur le passé de Benavidez sont les seuls points noirs à relever dans le développement scénaristique, la plupart des autres scènes parvenant sans mal à nous donner des pistes subtiles au travers de diverses phrases et attitudes qu’il ne tient qu’à nous d’analyser pour comprendre à quel genre de personnages nous avons affaire et quelles sont leurs principales motivations.


Cette forme intéressante mais risquée de récit est basée sur une proposition esthétique avec des touches surréalistes, en particulier dans les chambres bizarres que le psychiatre utilise pour faire face à Benavidez et ses traumatismes qui l'empêchent de produire son art, un lieu étrange, à la lisière du fantasme, où l’on doute sans arrêt quand au fait de savoir si ce que nous voyons est la réalité ou le simple produit de l'esprit torturé du protagoniste. Cet environnement nous fait réaliser que même si certaines actions n’ont pas tout à fait l’air de correspondre à la mentalité de nos personnages, leur exagération est justifiée dans un contexte où l'absurde semble toujours tapi dans un coin du décor, regardant la scène sans agir.


Pour parler quelque peu des aspects plus formels, il est évident que baser l’intrigue d’un film sur l’introspection artistique n’est pas forcément un sujet très original, mais les apparences sont trompeuses, car en dehors de son ton résolument surréaliste, ce film développe une histoire très intéressante. Parlant notamment de ce qu’un artiste est prêt à faire pour exploiter la pleine mesure de son talent, et jusqu’où est-il prêt à aller pour atteindre le sommet. Dans ce cas précis, il ne s’agit pas d’ambitions excessives, mais au final, le résultat est le même.


Laura Casabe, accompagnée du scénariste Lisandro Bera, est à créditer d’un travail d’écriture de très bonne tenue dans la façon dont l'intrigue se développe. Le rythme est l'un de ses gros points forts, très soutenu sans être infernal, le scénario a également le mérite de se dérouler pratiquement en huis-clos intégral, à l'intérieur de l'élégante bâtisse centenaire du Bencich Palace de Buenos Aires. Un lieu qui peut parfois donner l'impression de regarder une pièce de théâtre plutôt qu’un film, sans que cela soit toutefois péjoratif.


Les aspects plus techniques ne sont pas en reste, on mettra en évidence la composition fantastique de Zacarías M. de la Riva, inspiré par les meilleurs titres de Dizzy Gillespie, une bande-son majoritairement jazzy donc, étonnant au premier abord, mais qui prend tout son sens pendant le visionnage. A noter également la photographie particulière de Mariano Suarez, très stylisée, qui donne une réelle touche picturale à l’ensemble.


En ce qui concerne les performances du casting, les deux acteurs principaux sont bien évidemment largement mis en avant, Guillermo Pfening est excellent dans son rôle de Benavidez, et Jorge Marrale parfait dans celui du psychiatre. Même si leur duel "mange" littéralement le cadre, le reste de la distribution n’est pas à mettre de côté et répond amplement aux attentes, on notera surtout l’apparition du réalisateur Valentin Javier Diment, dans un rôle bref mais charismatique.


A côté de cela, le film n’est certes pas sans défauts, outre le fait que son sujet de base soit peut-être un peu trop ambitieux pour une production de ce genre, et finisse par l’écraser sous son poids, on notera un aspect parfois cheap ainsi que plusieurs autres éléments rappelant que la réalisatrice provient d’une classe plutôt fauchée du cinéma indépendant d’Amérique Latine, mais il est à signaler que l’on commence gentiment à voir émerger une génération très intéressante de cinéastes qui peuvent de plus en plus avoir accès à des productions mieux financées et plus amplement réalisées. Il s’agit clairement du genre de métrage qui contribue à offrir plus de possibilités aux créateurs et qui aide à faire croître la production de films indépendants, où l’élément artistique passe avant tout.


La Valija de Benavidez est, dans l’ensemble, une proposition de cinéma risquée qui ne satisfera pas tous les publics et dont le concept était peut-être un peu trop lourd à porter, cependant toutes les personnes qui trouvent de l’intérêt à visionner un film ingénieux qui dilue les frontières entre la réalité et l'imagination devraient s’y plonger à corps perdu, tout comme le protagoniste plonge dans les traumatismes de son passé, pour y vivre une expérience qui lui permettra de se développer dans le monde cynique qu’est celui de l'art.


En travaillant avec un budget restreint, Casabe est parvenue à créer un film à l’apparence magnifique, bénéficiant de décors et de costumes superbes, et de la présence d’un casting de grande classe. Les limites techniques et la nature précipitée de certaines séquences sont certes préjudiciables, et suggèrent un manque de temps et de moyens, mais l’ensemble reste tout de même harmonieux, notamment en ce qui concerne les scènes nécessitant l’utilisation de CGI (qui sont étonnamment beaux et très bien utilisés, c’est à signaler), et surtout de par la qualité des œuvres qui y sont présentées, ce qui témoigne des années de travail acharné qui ont certainement été nécessaires pour réaliser ce film.


Bien qu'il n’atteigne pas tous ses objectifs dans l’ensemble, il s'agit d'un petit film exigeant qui visait peut-être un peu trop haut par rapport à ses capacités. Les performances de Guillermo Pfening, Jorge Marrale et Paula Brasca donnent cependant une qualité humaine supplémentaire à un métrage très versé dans le surréalisme, pour notre plus grand bonheur, car l’art ne serait rien sans la fragilité qu’offre la parole à toute forme d’expression.


Pour conclure, il est clair que le cinéma d’Amérique du Sud dans son ensemble commence à prendre une dimension de plus en plus intéressante ces dernières années, en réussissant à abattre progressivement ses frontières sans abandonner ce qui fait son identité. Laura Casabe fait clairement partie de ces artistes qui incarnent le renouveau de ce cinéma si particulier, en parvenant à livrer un métrage sur un sujet difficile, tout en restant accessible à un large public.


Le genre de film qui participe éminemment à l’élévation philosophique d’une certaine forme de cinéma, et qui, malgré ses défauts, mérite d’être découvert par toutes les personnes désireuses d’explorer l’art d’une manière originale et malheureusement trop rare.

Schwitz
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le 17 mars 2017

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