Nord/Sud. Deux points cardinaux irréconciliables au centre névralgique mélancolique. L'éternel déchirement, celui qui meurtri et hante les consciences coréennes depuis maintenant 75 ans. Une hantise qui se répand et devient systémique où la question de l'armée en est le symptôme le plus révélateur. Face au nord très militarisé et sous l'emprise d'un régime totalitaire, la question sécuritaire devient nécessairement vitale. Une question qui trouve sa semi réponse dans le service militaire, toujours en place aujourd'hui et d'une durée de 2 ans à exécuter entre 18 et 28 ans. Téméraires devront être les resquilleurs, la fraude démasquée se payant à 18 mois d'emprisonnement. Les flemmards en retard ne sont pas en reste, l'âge s'accumulant en parallèle de la difficulté de voyager hors les frontières. Et celui qui parvient malgré tout à y échapper, se trimballe cet exploit comme un casier judiciaire, véritable boulet au pied dans la recherche d'emploi.


Les événements du film sont malheureusement assez peu fantasques. Au programme de ces deux ans : conditionnement à la paranoïa nordique, isolement total, les lettres étant le seul moyen de communication autorisé, et lors des permissions l'heureux élu se verra contraint de rester en uniforme. On y recense régulièrement des violences, brimades, haut gradés sadiques. On y récolte suicides ou fusillades sur cibles diverses (déserteur récidiviste, civil malencontreux ou tyrans récipiendaires de la vengeance du bouc émissaire poussé à bout).


Kim Ki-Duk a servi cinq ans dans la marine. Expérience assez peu agréable lorsqu'elle est agrémentée de plusieurs mois d'enfermement dans une prison militaire. Expérience d'autant plus amer lorsque la faute commise n'est pas sienne mais celle du nanti haut gradé. Un ressentiment à l'égard de l'armée qui imprime le film et lui donne un ton souvent cynique. Les personnages y sont vus comme des petites figurines de plomb qu'on maintient en cage et dont on use à loisir. On les fait se rouler dans la boue ou on leur fracasse les fesses à coups de batte, tout un programme. Malgré tout, un esprit de camaraderie salutaire subsiste, et Kim parvient à le faire exister. Il est alors plus regrettable que les individualités ne soient pas creusées davantage. On ressent tout de même l'attachement que Kim a pour ces soldats conditionnés à longueur de journée par l'angoisse d'une invasion rouge. Situation d'autant plus pernicieuse, que l'exécution de cette menace mirage est récompensé d'une rare et précieuse permission. La richesse du film se loge dans cet alliage complexe d'anxiété face à un futur incertain et inquiétant , d'un désir d'obéissance et d'une envie de fuite. Un sentiment qui culmine dans la scène la plus brillante du film, la première balle, celle par qui tout bascule, où tout se tourbillon d'émotions est palpable à chaque plan. Orchestrée comme une scène d'action et parsemée de visions singulières où la sexualité mortifère ne fait qu'accentuer l’ambiguïté morale du personnage. Juste pour cette scène le venin à venir est à relativiser.


Kim tente de mélanger le film de genre au film d'auteur tendance art et essai, l'intention est palpable dans l'introduction mais s'égare au deuxième acte. En quelques plans le réalisateur pose le personnage et le lieu. Deux entités qui semblent se contaminer réciproquement. Une qualité de série B ou le budget serré n'est pas antonyme de minutie. Un mois fut nécessaire à la construction du décor et on le voit. Les moyens restreints se sentent dans la taille et l'effectif limité de la base militaire mais ne font que renforcer le sentiment claustrophobique. La narration est racée, le récit carré, les enjeux tracés et le drame poignant. Mais voilà le premier quart d'heure et un chargeur passé et le film amorce sa longue décrépitude.


Car visiblement les idées sont parties avec les balles et le film entame alors son petit programme balisé. Les situations se répètent inlassablement jusqu'à l'ennui total. Le cinéaste retombe dans ses travers et semble être passé en mode automatique. S'ensuit donc violence provocatrice gratuite et, qui plus est peu inventive, misérabilisme poussif, délires auteuristes agaçant en grande partie canalisés dans ce personnage féminin insupportable, véritable ode au ridicule. Et Kim Ki-Duk oblige, la maltraitance animale est encore de mise. Le réalisateur ne pouvant apparemment pas contrôlé comme il se doit ses petites pulsions puériles et sadiques d'enfant de cinq ans. Quitte à avoir les pieds dans l'eau autant sombrer jusqu'au bout. Le film est bouffi de symbolisme vulgaire et pataud, on assiste donc à un terrain de foot comme carte de Corée, les barbelés en guise de filet ou on nous refait le sempiternel cliché du personnage torturé à coup de miroir brisé. Manifestement en pleine forme Kim enchaîne avec le héros qui pleure à chaude larmes sous une douche froide et une pluie de violons, on croit rêver.


Passer la moitié du métrage les choses ne font qu'empirer. Les acteurs très correctes au départ s'enfoncent dans un surjeu irritant. Une mise en scène qui se relâche complètement et nous assène des apparitions fantomatiques vu et revu dans des tas de films fantastiques médiocres. La fin est très vite éventée et l'intérêt à poursuivre le film taraude progressivement l'esprit. On divague alors et se remémore Kubrick. Car là ou le maître avait rapidement décelé la minceur du propos sous l'enrobage attractif du sujet, Kim se ramasse sur le sable. Le cinéaste coréen étire grossièrement un moyen métrage en long, et ne parvient jamais à le dissimuler. Il est tout de même bon de signaler que le réalisateur coréen, à sa décharge, ne disposait que d'un mois de tournage. Face à cette restriction l'urgence prend le pas sur le recul. D'autant plus que le climat oppressant (proximité de l'équipe, impossibilité de quitter l'île pour retrouver ses proches, entraînement militaire difficile) installé à l'usage du film est difficilement extensible sur une plus longue période. Reste le premier et dernier plan qui se répondent en écho. L'angoisse d'une guerre potentielle, qu'on est le seul à porter et dont le fardeau pèse et marginalise douloureusement. Les barbelés tranchants deviennent les remarques acérées de la foule, et l'après midi prend soudainement des allures de crépuscule.


Malgré un talent certain pour créer des atmosphères fascinantes et étrangement zen sans jamais tomber dans la lenteur pesante, le cinéaste a aussi de nombreuses tares. L'obsession de faire naître l’émotion à l'aide de personnages qui sont des abysses de vide est voué à l'échec. Le surmoi d'auteur est souvent la balle dans le pied de Kim qui n'a pas la grâce et la justesse des meilleurs films de Kitano. Vient alors encore le doux rêve de voir Kim Ki-Duk réaliser un film écrit par un autre ou travailler au sein d'un studio. Mais est ce que son égo le permettra seulement ? Je reste personnellement noyé dans les eaux symboliques de l'incertitude...

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le 26 févr. 2020

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