Ayant joliment attiré l'attention sur sa personne en 2012 avec le très réussi Berberian Sound Studio, pur hommage aux giallis des 60's, force est d'admettre que le troisième passage derrière la caméra de l'anglais Peter Strickland, allait être méchamment attendu au tournant par les cinéphiles avertis que nous sommes.


The Duke of Burgundy, véritable bête de festival (l’Étrange Festival, TIFF, Rotterdam, Hallucinations Collectives de Lyon,...) débarque donc dans nos salles obscures en ce riche mois ciné de juin, précédé de critiques élogieuses et avec un thème rappelant fortement le misérablement fade et ersatz de Twilight sauce SM, Cinquante Nuance de Grey.


Et si il était une certitude que le Strickland était des cinéastes à suivre avec le plus grand intérêt, avec son nouvel essai, il signe ni plus ni moins que l'une des œuvres les plus imposantes de ce premier semestre 2015, une péloche à la tension et à l'érotisme proprement immersif qui incarne aisément une expérience unique et singulière dans le septième art actuelle.


Une proposition de cinéma aussi simpliste qu'elle est proprement fascinante et exigeante.


The Duke of Burgundy (" Le Duc de Bourgogne ", référence direct à une sorte de papillon très rare qu'affectionne les personnages titres) donc, conte l'histoire quelque part en Europe, de deux femmes qui s'aiment, Cynthia et Evelyn.
Jour après jour, le couple pratique le même rituel qui se termine par la punition d’Evelyn, mais Cynthia souhaiterait une relation plus conventionnelle.


L’obsession d’Evelyn se transforme rapidement en une addiction qui mène leur relation à un point de rupture…


Au sein d'une époque non-identifiée - ce qui pousse encore un peu plus à l'immersion totale du spectateur - et dénué de toute présence masculine, le cinéaste règle sa caméra sur la dynamique en quasi-huit clos et l’exploration au quotidien d'un couple au féminin déséquilibré et à la relation des plus malsaine et complexe.
Une opposition prenant la forme d'un complet jeu de rôles aux rituels fantaisistes, rythmé par deux passions communes - les désirs SM et l'étude des papillons -, et régit par la sujétion, la domination (intellectuelle et financière pour Evelyn, physique pour Cynthia) et le sadomasochisme au pluriel.


Strickland, encore une fois très inspiré, décortique cette passion par la force du jeu pervers de la manipulation et des faux-semblants, les rôles pourtant clairs au départ, se révélant petit à petit trompeurs.
The Duke of Burgundy, ou l'histoire d'un amour fait de concessions et de trahisons, un amour sulfureux mais véritable au vernis qui s'étiole sous l'assouvissement des fantasmes capricieux de l'une et l'amertume douloureuse et masquée de l'autre, qui n'aura de cesse pourtant de lutter pour tolérer et entretenir cette flamme destructrice.


Porté par un script intelligemment écrit faisant évoluer ses personnages tout en jouant sur la répétition de leurs actions et la perception qu'en a le spectateur au fur et à mesure que le récit avance, le métrage jouit également d'une mise en scène aussi appliquée et soignée que stylisée, au fétichisme certain (la marque de fabrique du perfectionniste Strickland), et citant directement le cinéma bis italien des 70's, mais également les cinémas de David Lynch (Mulholland Drive en tête), Brian De Palma et Jess Franco.


Pur trip naturaliste étrange, élégant et maîtrisé jamais outrancier ni même caricatural, The Duke... ne serait cependant rien sans les prestations époustouflantes de ces deux héroïnes, les sublimes et renversantes Sidse Babett Knudsen et Chiara D'Anna, qui portent entièrement ce film sur leurs épaules.
Tout en subtilité et en sensibilité, leur romance est touchante et crédible, et elles rendent les personnages fragiles de Cynthia et Evelyn follement réel mais surtout follement empathique (surtout Cynthia).


Visuellement - mais pas que - somptueux et hypnotique, The Duke of Burgundy est un chef d’œuvre profondément européen dans son enveloppe singulière, charnelle et un brin sombre et fragile.
Une expérience sensorielle, sensuelle et gracieuse férocement étourdissante, mais avant tout une belle et remarquable surprise comme on aimerait en avoir plus souvent.


Décidément, ce merveilleux mois de juin ciné n'aura de cesse de nous surprendre au fil des mercredis...


Jonathan Chevrier


http://fuckingcinephiles.blogspot.fr/2015/06/critique-duke-of-burgundy.html

FuckCinephiles
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le 8 juil. 2015

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