Fini le temps où nos aînés pouvaient vivre chez leurs parents. La déchéance mentale implique un soutien qui aujourd'hui se concrétise bien souvent par un placement en institution, lorsque les aides à domicile trouvent leurs limites. Une évolution sociétale où la vieillesse renvoie à la propre peur de notre devenir, à ce portrait que l'on éloigne pour ne pas y être confronté. Et à un certain égoïsme certainement. Une vie à soi dont on veut profiter pleinement, et où l'absence professionnelle empêche les soins de tous les instants. Alors plus qu'un portrait d'un homme soumis à la perte de mémoire, c'est aussi celui de notre société soumise elle aussi à un mode de vie, qui en oublie son empathie, ses racines et sa propre destinée.


Florian Zeller est jeune et le film est d'autant plus marquant que son regard est d'une extrême justesse et d'une grande sobriété, sans qu'il soit question de dénonciation pour le seul constat d'une réalité cruelle où le choix n'est qu'une question de point de vue.
Olivia Coleman renverra à cette dualité inconfortable et surtout tragique. Dépassée par son amour paternel, tentant de le maintenir à flots, hésitant sur la conduite à tenir. Le divorce avec un mari peu enclin à la vie communautaire, montrera également les limites aux contraintes. L'actrice est comme toujours excellente aux jeux d'expressions subtils et à l'émotion à fleur de peau. Anthony Hopkins démontre par son jeu du regard et par ses sautes d'humeur, où la hargne se la dispute à la douceur, toute la vulnérabilité du grand âge et donne à son personnage une gravité rendant parfaitement le cheminement mental de celui qui n'est plus. Une montre perdue sera le cheval de bataille pour celui qui lutte contre la dépendance qu'on lui impose, et parfaite métaphore du temps qui passe, s'accrochant à une affaire mineure pour tenter de prouver sa lucidité, tout comme dans un dernier sursaut de séduction, de balayer les années, se rappelant à son charme passé et où le décalage de la situation rend parfaitement le malaise.


Une mise en scène elliptique et un jeu de temporalité, appuyés par les moments d'errance et d'absence dans des couloirs vides et à la décoration changeante, rendent la confusion mentale frappante et une ambiance parfois inquiétante, où des personnages inconnus et interchangeables finissent de plonger l'homme dans une grande souffrance.
Un huis-clos pour un décor d'un seul et même appartement, et finalement d'une même journée, nous rappelant par de menus détails, une réalité qui s'oublie au profit d'événements passés.
Le montage, les plans de caméra et la lenteur d'exécution en miroir du personnage, ou ceux qui se délivrent au fil de l'intrigue démontrent la totale maîtrise de l'exercice, par le seul point de vue de cet homme, où les autres ne font que passer au grès des souvenirs. Passé et présent s'imbriquent et viennent perdre le spectateur dans ce qui lui est donné de voir, soumis à la mémoire vacillante du vieil homme.


On aura rapidement saisi le processus d'un voyage dans les méandres de souvenirs floutés, avec une résolution dérangeante par ce qu'elle convoque de condition traumatique.
La crise existentielle mais aussi les drames familiaux, les pertes et le deuil viennent se greffer à l'infirmier maltraitant, ou à celui condescendant, qui ne comprendront jamais ce à quoi sont confrontés les personnes âgées. Ne disent-elles pas d'ailleurs, pour remettre à leur place les impertinents, que dans leur tête elles ont toujours vingt ans ? alors on comprend aisément que le physique dégradé est bien peu de chose en regard de l'intelligence qui s'étiole et de la grande crainte de l'abandon, de la solitude et certainement de la mort prématurée.


Adapté de sa propre pièce de théâtre, Le père sorti en 2012, j'attend avec impatience la trilogie annoncée (?) avec La mère et Le fils.

limma
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le 4 mai 2021

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