Oscar du meilleur acteur pour Anthony Hopkins et celui du meilleur scénario adapté pour le tandem Zeller-Hampton, le français lui confiait là un rôle magistral, celui d’un homme évaporé dans les draperies mouvantes de son appartement alors que la démence le guette. En duo avec Olivia Coleman, The Father est un drame à l’image de ses acteurs, poignant et bouleversant.


Dans les tentures de son bel appartement londonien, à 80 ans, Anthony (Anthony Hopkins) vit seul alors que la mémoire se défile. Mais l’homme refuse catégoriquement les aides médicales que lui propose sa fille Anne (Olivia Coleman). Pourtant, la situation est inquiétante et alors qu’elle lui confie vouloir s’installer à Paris avec son compagnon, Anthony sombre inexorablement dans ses souvenirs. Dès lors une autre réalité envahit le monde d’Anthony, et le spectateur de s’y perdre avec lui…


Si Philippe Le Guay s’y est frotté avec Jean Rochefort et Sandrine Kiberlain dans Floride en 2015, il fallait que la pièce reste dans les bras de son géniteur pour garder tout son éclat. Et quelle pièce! Montée à Paris en 2012 avec Robert Hirsch dans le rôle titre, la pièce décroche les plus prestigieuses des récompenses. À Londres, les Laurence Olivier Awards défilent et la pièce parcourt le globe avec l’insolence d’un roi. Et près de 8 ans après la première au théâtre Hébertot, Florian Zeller et son co-auteur Christopher Hampton réussissent le pari exceptionnel de donner une aura cinématographique à cette pièce de théâtre.


Dès l’ouverture, avec cette course contre la montre, littéralement, pour retrouver et remettre au poignet d’Anthony les aiguilles qui le raccrochent au réel, Anthony Hopkins et Olivia Coleman jouent de leur maestria pour mettre en exergue le quotidien de bien des familles confrontées à la démence d’un proche. Un duo père-fille au sommet dans les arcanes de la mémoire qui flanche. Tiré de son triptyque théâtral («Le Fils», «La Mère», «Le Père»), Florian Zeller dévoile un long-métrage comme une énigme où la mise en scène nous perd dans les vastes souvenirs d’Anthony. Un appartement en forme de huis-clos, la prison d’un homme qui y divague. Un ermitage qui devient l’enclos de sa démence; une entité vivante, mouvante, une ruche énigmatique où plus rien n’à de sens, pas même la chronologie du temps.


Quand la réalité se meut au point de nous plonger à l’orée du thriller, Florian Zeller signe un tour de force scénaristique et une mise en scène d’une inventivité folle. Sorte d’hommage à la manufacture du cinéma, la tête se fait la malle et le dramaturge signe un cinéma abyssal. La moue d’Olivia Coleman quand son père lui échappe, la vulnérabilité enfantine du père recroquevillé dans son canapé, et la violence psychologique de Rufus Sewell; l’être se relâche et rien n’y fait. Accompagné de la subtile partition de Ludovico Einaudi (qui en 2020 signait aussi le sublime Nomadland), le spectateur se balade dans ce labyrinthe, suivant les pas d’Anthony, sur l’épaule de sa fille et assiste impuissant à l’inexorable chute du père. Et le film se clôture comme il a commencé, dans les affres d’une scène à vous faire chavirer. Entre-temps, Anthony est devenu un peu votre père, et vous venez de lui dire au revoir.


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guardianalfred
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le 4 juil. 2021

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