The Flicker
6.1
The Flicker

Court-métrage de Tony Conrad (1965)

Un film. Succession de photogrammes, ronronnement perpétuel. Un film en Noir, un film en Blanc. Un film, comme ça. The Flicker. Un film à voir, un film à vivre, pour peu qu'on le puisse. Un film définitif : de l'image et du son. Du cinéma.


Film fantastique ? Pas mal, oui : l'impression de pénétrer une nouvelle dimension, de franchir une barrière, une frontière, une porte ouvrant sur de nouvelles perceptions. Un vortex sans couleurs, un trou noir absorbant les pensées vagabondes du spectateur, une incursion du surnaturel dans la réalité d'une salle de cinéma. Entre deux eaux ou deux images The Flicker nous propose la féerie d'une alternative : l'hypnose continue, le lavage cérébral, la fuite.


Film de guerre ? Un peu, sans doutes : le claquement du chronographe évoque les rafales d'une mitraillette infatigable, interminable, inépuisable ; le brûleur de la lanterne entretient les éclairs d'une guérilla sans nom devant l'écran explosant encore et encore devant nos yeux impuissants. Un conflit Noir et Blanc montant crescendo pour mieux mettre nos nerfs en pelote et nous laisser sur un no man's land métaphysique, puisque The Flicker touche aux corps, aux yeux et aux oreilles. Une agression.


Film d'horreur ?... Oh, que oui ! Le râle du projecteur nous plonge dans le cauchemar d'un gouffre sans fin, et le stroboscope permanent des images nous laisse entrevoir de véritables micro-visions d'épouvante : des points, des tâches, des stries incarnant quelques fantômes atomiques sans égaux. L'horreur dans son ignominie, sa singularité et son inquiétante étrangeté la plus parfaite, la plus extrême, la plus perturbante. Perdre pied lorsque le coup de couteau nous prend non plus par surprise mais par devant, constamment, avec l'écran tendu sous notre regard fasciné par un crime sans nom : voir quelque chose qui tient de l'inexplicable, du primal, des tréfonds de l'âme...


Film musical ? Parfois, un peu : l'alternance des photogrammes joue sa partition bien à elle, l'intermittence du rythme promet des riffs, des couplets disparates et plusieurs climax interchangeables. Climax intégral d'une certaine manière, The Flicker composant aussi sur la continuité et la radicalité de son morceau musical : l'image comme mélodie, le son comme rythme. Alors oui, musical.


Film d'amour ? Film comique ? Film d'aventures ? Peut-être ou pas du tout, ni oui, ni non. The Flicker s'amuse à défier toute catégorie cinématographique puisqu'il ne raconte rien, n'explique rien, ne dit rien : il donne à voir ce que l'on y cherche, ce que l'on veut bien y voir dans l'instant de sa projection. 30 minutes de pure expérience à vivre, vierge ou impur, naïf ou sceptique, noir ou blanc. The Flicker est avant tout un film de cinéma, véritable leçon de projection façon pellicule à l'ancienne réalisée par Tony Conrad en 1965. Il est à vivre, pour peu qu'on le puisse. Uniquement, mais surtout avec prudence et prévention. Voir The Flicker, et puis mourir.

stebbins
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le 31 août 2015

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stebbins

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