The Guilty
5.7
The Guilty

Film de Antoine Fuqua (2021)

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De la pertinence d’une adaptation. On sait que Hollywood n’a plus d’idées ou presque. Engoncé dans sa logique de franchises, le box-office annuel témoigne de la cannibalisation progressive des suites et autres univers étendus sur l’imaginaire ou, à minima, l'originalité. En 2019, le Top 10 était totalement phagocyté par les suites de Star Wars, Marvel, DC et Disney et 2021 n’est pas forcément plus folichon avec Free Guy et Jungle Cruise encore en course en dehors de tout univers étendu. Du coup, quand sort The Guilty en 2018, la lumière s’allume à tous les étages et Jake Gyllenhaal achète immédiatement les droits. Ce premier film danois signé Gustav Möller pour une somme assez dérisoire (500.000 euros à tout casser) avait de quoi éveiller l’attention. Le concept est minimaliste : un policier du centre d’urgence prend un appel d’une femme prétendue enlevée. Une dramaturgie maîtrisée avec le trio classique unité de temps, de lieux et d’action, une direction d’acteur impeccable (Jakob Cedergren y est formidable) et surtout un travail sur le son absolument bluffant évitait au film de sombrer dans une quelconque forme de théâtre filmé. L'intrigue pouvait dès lors se déployer sur le fil d’une tension maintenue de bout en bout, palpable, jusqu’au dénouement charbonneux, dérangeant, nihiliste. Les critiques furent excellentes et le film recevra plusieurs Robert Awards, l’équivalent danois de nos César dont meilleur film, meilleur réalisateur et meilleur acteur. Mérité. Les critiques européennes et américaines s’emballent pour ce petit prodige et forcément Hollywood ne pouvait rester les bras croisés. Il fallait bien balancer le projet dans la série des remakes inconséquents, pas très loin de Ring et Old Boy, avec cette furieuse habitude de se croire plus malins que les autres et qu’il est toujours possible d'enfoncer un cube dans un cercle. Nic Pizzolatto (True Dectective) se charge de l’adaptation mais les choses se gâtent avec l’arrivée de Antoine Fuqua (Training Day, Les 7 Mercenaires) derrière la caméra. Le réalisateur n’est pas spécialement réputé pour la subtilité de sa mise en scène mais avec l'assurance d'avoir Jake Gyllenhaal au premier plan le projet peut avancer et voir Netflix débouler tranquillement pendant la pandémie afin cachetonner tout ça. Le casting s’étoffe - Ethan Hawke, Peter Sarsgaard, Riley Keough, Paul Dano - et c’est dans la boîte. Seulement voilà, le ripolinage multicouches de la machinerie hollywoodienne allait aussi rapidement que sans vergogne dénerver le concept et lui retirer cette âme noire d’encre qui lui collait à la pellicule.


Fatum. En réalité, trois facteurs viscéraux viennent dissoudre le remake de l’intérieur. D’une part l’écriture, qui édulcore le personnage principal pour en faire un archétype classique de flic en déréliction, pas foncièrement antipathique car il faut bien que le spectateur puisse s’identifier à lui. Faut pas déconner. Le personnage original avait pour lui ses airs peu amènes, ce mépris larvé pour le travail de ses collègues. La geste du personnage en était d’autant plus émouvante. Le pathos de la version américaine, lui, ne se contient pas, ou trop peu, que ce soit dans les réactions plus exacerbées, comme dans le jeu des comédiens à distance. Problème d’une langue qui rendrait le concept moins fantasmagorique ? Peut-être. Le danois avait ceci de nous plonger réellement dans un univers inconnu, où il était plus difficile d’identifier les codes émotionnels. Mais qu’importe ! Le scénario tente de jouer sur d’autres tableaux, replace les grands incendies de Californie dans la tragédie en cours, ajoute des problèmes respiratoires au "héros" sans véritablement apporter quoi que ce soit à l'intrigue, jusqu’à cette idée que « les gens brisés peuvent aider les gens brisés ». Merci bien. Au-delà de la morale pré-adolescente débitée ici, de cette fichue culpabilité qui plane sans pour autant subvertir à la morale habituelle, le script ne parvient jamais à faire suffoquer le spectateur et se permet lâchement un retournement de situation inédit qui efface derechef la noirceur brutale et glauque de l'original.


Qu’on ne s’y trompe pas, cette dilution est renforcée par la réalisation. C’est le deuxième élément de la réaction en chaîne. Difficile de se départir du film de Gustav Möller sur la base d’une histoire censée rester entre quatre murs. Alors quoi ? Antoine Fuqua ne s’embarrasse pas de si peu et pour échapper à l’exercice de style. Il n’hésite pas à offrir des vues extérieure par l’intermédiaire d’immenses écrans, et gratine son film de flashs nébuleux afin d’illustrer quelques actions que le héros et le spectateur sont censés vivre sur un strict plan sonore. Cette simple idée, qui vient court circuiter le concept même du film, se transforme en point rupture narratif qui, à l’image de son script, cherche à jouer de la tension des situations préexistantes, tout en les évidant de leur substance. Plus communément, c’est aussi ce qu’on appelle se tirer une balle dans le pied.


Dommage collatéral des deux précédents points, et derniers facteur purgatif de l'entreprise, l’interprétation de Jake Gyllenhaal navigue sur un fil narratif qui ne suit pas les règles établies et une réalisation qui tente vainement de jouer sans carte en main. Ce bon Jack étant un acteur efficace, il s’acquitte plutôt bien de sa tâche, mais voilà, son personnage doit jouer des excès habituels pour donner le change quand il suffisait d’un regard à Jakob Cedergren pour intensifier les choses, pour leur donner corps. Hollywood, dans sa grande tradition de stabyloteur compulsif, souligne, surligne, encore et toujours, quitte à trouer la page et le spectateur de passer au travers. A force d'en faire des tonnes, le film quitte l'espace de jeu de son modèle original qui savait rester à hauteur d'homme. Une place aujourd'hui honnie par la plupart les productions à vocation mercantile.


Pire qu’un film raté, à qui l’on pourrait pardonner bien des choses, The Guilty se transforme alors en un film sans âme et pour tout dire inutile. A ce petit jeu, il faut se rendre à l'évidence d'un projet qui n'avait aucune raison d'être. Et sans dévoiler quoi que ce soit, l’ultime comparaison sur la scène finale tiendra alors lieu d’arbitre définitif. Entre des aveux publics jusqu’au-boutistes et de grimaçantes révélations privées, entre la porte ouverte vers une désintégration par la culpabilité et la symbolique toute en subtilité d’une cuvette de chiotte pour le purgatoire à venir, choisis ton camp camarade.


Note : Sur cette notion de culpabilité traitée à l’écran, je ne peux que vous renvoyer au travail de Paul Schrader et notamment ses deux derniers films : Sur le chemin de la rédemption (2017) et The Card Counter qui sortira en décembre.

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le 4 oct. 2021

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