Petite sensation dans le monde du cinéma d’horreur cette année, Skinamarink (The House, en France) est le fruit du travail expérimental de Kyle Edward Ball, un réalisateur canadien de court-métrages d’horreur diffusés sur sa chaîne Youtube, Bitesized Nightmares. Ses petits films, très courts, sont des reconstitutions minimalistes et plutôt personnelles des cauchemars vécus par ses abonnés, ces derniers étant invités par Ball à partager leurs récits en commentaires. À l’image d’un travail d’écriture collaborative tel que la Fondation SCP, sa série des Nightmares résulte d’un dialogue créatif entre un créateur et son public afin de nourrir artistiquement ses différentes productions. La mise en scène de ces « vignettes horrifiques » s’inscrit dans une dynamique d’expérimentation dans le travail de l’image et du son, manifestement affiliée au courant de l’horreur analogique (ou analog horror), dérivation esthétique du found footage caractérisée entre autres par un design sonore angoissant et une image de qualité médiocre, truffée d’artefacts visuel provenant des téléviseurs cathodiques et des enregistrements VHS.

Skinamarink marque le passage au long-métrage pour Kyle Edward Ball et s’inscrit dans la lignée de ses précédentes productions. Le films de déroule en 1995 et suit Kevin et Kaylee, deux enfants respectivement âgés de 4 et 6 ans, qui se retrouvent soudainement seuls la nuit dans leur maison, leurs parents ayant soudainement disparu. Et comme si cela n’était pas assez angoissant, les portes et les fenêtres de la demeure se volatilisent également. C’est le début d’une longue nuit d’angoisse que Kevin et Kaylee vont vivre, livrés à eux même dans cet espace en constante reconfiguration, potentiellement habité par une sorte de bogeyman leur voulant du mal.

Non sans convoquer la mythologie bâtie autour des mystérieuses backrooms sur internet, Skinamarink invite à faire l’expérience d’un cauchemar éveillé à hauteur d’enfant, dans une maison se transformant progressivement en un lieu étrange, hors du temps, que les ténèbres viennent ronger peu à peu. Les lumières chaleureuses et réconfortantes du foyer familial s’éteignent. Seule la lumière de la télé cathodique diffusant de vieux dessins animés « réchauffe » le salon, dans lequel se réfugie Kevin et Kaylee. Ces enfants, nous ne les verrons jamais, du moins pas complètement. Ball explicite en effet dans les dix premières minutes (efficaces) du film ses intentions radicales de mise en scène : le décadrage constant dans l’image - dénuée de véritable sujet pour faire émerger la puissance suggestive de l’hors-champ au cours du visionnage - le design sonore atmosphérique et terriblement anxiogène - dans lequel se perdent les voix chuchotées des enfants et celles d’outre-tombe – et la texture de l’image, chargée de bruit et d’accidents numériques.

Si tout concours ici à créer une forte tension horrifique, la radicalité du dispositif, intéressant sur le papier, n’est pas susceptible de faire frissonner tout le monde. Ball conçoit clairement son film pour faire la tournée des festivals avec un bricolage rapide d’un de ses court-métrages, augmenté d’un format large « cinégénique », proche du scope, d’une durée exagérée et de quelques jumpscares avec le volume sonore qui décolle subitement afin de réveiller les deux du fond qui se seraient endormis en cours de route.

À l’origine taillé pour le court-métrage, le dispositif du réalisateur peine cruellement à se renouveler pendant les 1h40 de film et fini par lasser, voire épuiser. Il en vient même, paradoxalement, à révéler une absence totale de point de vue, dans son refus excessif de filmer quelconque sujet dans la quasi-entièreté de ses plans. Car au bout du quinzième cadrage sur une moquette délavée prenant les trois quarts de l’image ou de l’énième insert sur un coin de plafond éclairé par une lampe de chevet, rien n’a véritablement été dit : Ball laisse faire le travail à l’hors-champ et au bon vouloir du spectateur qui fera tourner son imagination (ou non) à plein régime. Dès lors, Skinamarink se transforme malgré lui en un réceptacle grossier de tout ce que voudra bien y mettre chacun de nous en matière de vagues souvenirs de rêves ou de cauchemars d’enfance, ou encore d’interprétation farfelue.

Finalement, la démarche expérimentale du film réside davantage dans cette tentative de créer un pont entre le cinéma et la mythologie d’internet - accompagné de ses codes visuels et thématiques - que dans l’envie de créer une nouvelle forme cinématographique pour raconter autrement une histoire et faire frissonner le plus grand nombre.

AnvilOfKrom
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le 15 août 2023

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