La casa del fin de los tiempos est un remarquable effort de cinéma porté par un vrai passionné, et ça se sent! Un film fantastique vénézuélien, cela ne court pas vraiment les rues. D'ailleurs, à de très rares exceptions, l'Amérique du Sud en général reste un continent assez pauvre en ce qui concerne le film de genre. Ce film apporte une touche nouvelle sur un genre quelque peu fatigué ces dernières années. Il y a un peu d'horreur, un peu de drame et de thriller, ainsi qu'un élément de science-fiction bienvenu, le réalisateur/producteur/scénariste Alejandro Hidalgo a monté un film fabuleux et étonnamment divertissant.


Jetons de suite un coup d’œil du côté du synopsis:


Dulce (Ruddy Rodriguez), mère de deux enfants, vit une petite vie sans histoires, coincée dans un mariage sans amour. Un jour qu'elle rentre chez elle, elle retrouve un miroir brisé en mille morceaux. S'aventurant au sous-sol à la recherche de sa famille, elle trouve le corps de son mari, mort, allongé par terre. Son fils, Leopoldo, qui se cachait dans un recoin, se voit happé dans l'obscurité par un étrange phénomène, pour ne jamais en ressortir. Dulce, dont les empreintes digitales sont retrouvées sur l'arme présumée du crime, est arrêtée pour son meurtre et celui de son fils disparu.


Trente ans plus tard, Dulce est libérée de prison, elle est devenue une vieille femme cynique au sujet de la vie et de la religion, placée en résidence surveillée, elle est reconduite à sa maison pour y passer le reste de ses jours. Cependant, tout cela n'est que le début du cauchemar, car le mystère caché dans cette maison est toujours bien présent, même après tant d'années...


A partir de là, l'intrigue du film va tourner autour d'une simple question: Que s'est-il passé dans cette maison? Avec l'aide d'un prêtre local et d'un médium aveugle, Dulce mène l'enquête et découvre de nombreux secrets que cette maison se garde bien de révéler. Et chaque scène de découverte s'avère être un riche morceau scénaristique recouvrant un autre morceau encore plus riche, ce qui donne au public un sérieux argument pour s'investir dans le métrage.


Il existe très peu de films horrifiques capables de faire ressentir une empathie aussi forte envers ses personnages, le voyage émotionnel est ici franchement impressionnant et bouleversant, le fait de traiter la maison comme un personnage à part entière est également un parti-pris intéressant, et vraiment effrayant, on pense ici à une affiliation évidente avec le classique de l'horreur, The Haunting, l'intrigue à tiroirs participe également fortement au grand-huit émotionnel que nous propose ce film.


Le scénario de ce film est savamment écrit. Le voyage menant à des révélations sur des événements s'étalant sur plus de 30 ans est étonnant et vraiment ahurissant. Une fois que les secrets commencent à se dévoiler, l'engrenage s'enclenche pour ne plus jamais s'arrêter, comme un effet boule de neige, avançant non pas en ligne droite, mais dans tous les sens à la fois, prenant le spectateur par surprise à chaque instant. Ce film et tout l'univers créé autour, prennent un malin plaisir à dérouter nos sens et jouer constamment avec nos attentes. C'est une sensation qui peut forcer l'admiration, ou occasionner le rejet, mais qui ne laissera personne indifférent.


Les performances d'acteur sont également à signaler. Ruddy Rodriguez (qui est une ancienne Miss Venezuela World pour la petite histoire) présente une vraie qualité de jeu, à la fois dans son regard et dans sa gestuelle. Jouant un même personnage sur deux époques différentes (avec un maquillage de vieillissement malheureusement peu crédible, c'est à signaler), dans un registre plutôt exigeant alternant scènes de hurlement, de sanglots, et de douleur intense. Son personnage est réellement écrit pour obtenir une grosse performance de sa part, et elle s'en tire avec les honneurs. Guillermo Garcia s'acquitte de son côté du rôle du religieux avec une sobriété et une aisance à faire peur.
Reste à placer un petit paragraphe sur les enfants, car ils ont leur importance dans ce film: Roswell Bustamante et Hector Mercado jouent respectivement Leopoldo et Rodrigo. Des rôles d'enfants heureux et insouciants au premier abord, mais qui présentent une alchimie folle l'un envers l'autre, particulièrement lorsque les événements du film s'enchaînent, encore une fois le grand-huit émotionnel fait son office à travers cette galerie de personnages.


Loin de baigner uniquement dans une atmosphère froide et sombre comme on pourrait le penser, ce film sait aussi se montrer plus léger lorsque l'intrigue s'y prête, le scénario est taillé sur un modèle de film à suspense, mais certaines révélations sont si inattendues qu'elles parviennent à faire décrocher un sourire au spectateur. On sent toutefois qu'Alejandro Hidalgo maîtrise son labyrinthe scénaristique et parvient à maintenir un niveau de malaise et de suspense hallucinant tout au long du processus. On en ressort réellement lessivé, dans un état proche de l'épave émotionnelle.


Le côté technique est également plus que réussi, on bénéficie d'une composition visuelle en perpétuelle évolution, guidée par une caméra mobile et toujours vivante, aucune scène ne paraît figée ou stagnante. En fait, on sent clairement qu'on a affaire à un film dirigé par un homme qui avait la mainmise sur son projet, en occupant également le poste de scénariste, le réalisateur a clairement pu imposer sa vision sur l'ensemble de l’œuvre, toujours appréciable, particulièrement pour ce genre de production.


La direction photo en elle-même est solidement réalisée. On ne voit aucun plan ou angle de caméra totalement hallucinant, mais tout est toujours en phase avec l'atmosphère générale. Le style visuel de ce film ferait presque penser à du cinéma d'horreur "classique" si l'on peut dire, en cherchant surtout à créer une ambiance qui absorbe son spectateur. L’étalonnage va dans ce sens, avec quelques trouvailles intéressantes, comme une scène où la luminosité se voit volontairement réduite au maximum, dans le but de perdre le spectateur, nous forçant à utiliser notre ouïe comme seul point de repère, génial!


En parlant de son, la conception sonore de ce film est par ailleurs un aspect à saluer, le DTS HD Master Audio 5.1 est ici utilisé au maximum de son potentiel, offrant une expérience auditive dynamique, jouant beaucoup sur les ambiances et les pistes Surround. Il est fortement conseillé de visionner ce film avec un équipement audio de qualité pour en saisir toute la richesse, vous n'entendrez que rarement votre caisson de basse rugir de la sorte.


L'utilisation de la palette de couleurs donne corps aux choix de photographie, en oscillant entre les couleurs chaudes des extérieurs et celles des intérieurs, délibérément froides, tendant vers le gris/bleu.
Ce film a semble-t-il été tourné au printemps, avec des décors extérieurs naturels, les couleurs printanières baignant dans une douce lumière contrastent fortement avec les arrières-plans nébuleux et grisaillants de l'intérieur de la maison, reflétant l'état d'esprit de Dulce. La composition des cadres a d'ailleurs la réelle ambition de refléter l'état d'esprit de tous les personnages à l'écran, un très bel exemple se trouve lors de la scène d'ouverture, avec une caméra cadrant sur l'action, les visages, la plongée dans les ténèbres et la descente aux enfers psychologique d'une femme au bord de la crise de nerf. Hidalgo esquisse un parallèle subtil entre le secret enfoui dans les tréfonds de la maison et le cœur de l'intrigue. Ce qui rappelle quelque peu La Casa Muda (Ce fameux film d'horreur uruguayen tourné en un seul plan-séquence, pour le replacer) par bien des aspects de mise en scène.


L'aspect le plus important du film reste le fait qu'Hidalgo ne perde jamais la main sur les différentes sous-intrigues qui le composent et s'enchevêtrent inextricablement. C'est lorsqu'on se rend compte de la fluidité avec laquelle le récit se déroule qu'on commence à se dire que l'écriture de ce film a quelque chose d'exceptionnel, être capable de faire coexister un tel sous-ensemble d'éléments à priori banals, tout en leur laissant une place importante dans l'intrigue à un moment ou à un autre n'est pas une tâche à la portée de n'importe qui. Tout comme parvenir à faire coexister passé et futur dans un seul et même plan sans rien en révéler au spectateur, ce film a parfois des airs de tour de force cinématographique.


En somme, un film que n'importe quel amateur d'expérimentation se devrait de voir. On s'émerveille littéralement devant la créativité d'Alejandro Hidalgo, qui nous emmène dans une histoire complexe, multipliant les sous-intrigues, mais où chaque détail est important et intentionnel dans le dénouement final.


Avec son atmosphère lourde et sombre semblable à celle du film Les Autres, et un regard porté à ses personnages tout droit inspiré de L'Orphelinat, ce film pourrait faire l'objet de nombreuses comparaisons plus ou moins heureuses. Cependant, Hidalgo a créé un conte qui ne ressemble à aucun autre et nous invite à un voyage étonnant au cœur de cet univers si singulier, mais diablement prenant!

Schwitz
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le 5 nov. 2016

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