The Lost Footage of Leah Sullivan
5.1
The Lost Footage of Leah Sullivan

Film DTV (direct-to-video) de Burt Grinstead (2019)

Depuis sa caméra DV malmenée au cœur de la forêt de Blair, le genre du found footage a toujours eu pour objectif d’accroître la sensation d'hyper-réalisme du filmage proposé. On brise rapidement le quatrième mur de par l'existence d'une vidéo retrouvée et non mise en scène, comme preuve irréfutable d'une image à la légitimité insoupçonnable. Le côté amateur (cadre tremblotant, regard caméra, commentaires «naturalistes») décuple le procédé et empiète sur les plates-bandes du documentaire sensationnaliste. A l'instar de son illustre modèle, The Lost Footage of Leah Sullivan emprunte la voie journalistique pour poser son intrigue. Au groupe de jeunes apprentis cinéastes se substitue l'apprentie journaliste Leah Sulluivan, beauté Yankee dans toute sa splendeur, du sourire Colgate aux traits presque forcés, sans oublier cette voix nasillarde propre aux contrées de l'Oncle Sam. Les vingt années qui séparent les deux œuvres reflètent autant les évolutions technologiques de notre quotidien que l'individualisme forcené contemporain.


A l'inverse de la fin des années 90, nos yeux sont désormais habitués aux formats vidéo qui pullulent sur les internets. Combien de vidéos amateures vues chaque jour sur les réseaux sociaux ? Le contexte n'est plus le même, l'impact d'une image s'est amoindrie sur nos cortex habitués au pire. Pourtant, cette image dorénavant hyper définie, se moule totalement dans sa propre époque, et parvient peut-être encore plus que Blair Witch à son époque à simuler le réel. Alors que le chef d’œuvre de 1999 opérait une mue passionnante sur notre rapport à l'image et sa représentation du réel par un rendu au final bien plus dégradé que le monde qui nous entoure, comme si une image amateure «salie» témoignait plus d'un réel palpable qu'une image de cinéma limpide, The Lost Footage témoigne de la facilité contemporaine à tout capter par le prisme de la vidéo. Plus rien d'étonnant ou de surprenant lors du périple de cette jeune étudiante urbaine partie au fin fond des Etats-Unis équipée de son appareil photo, dans sa ville natale, pour enquêter sur d'étranges meurtres survenus trente ans plus tôt et jamais résolus.


Alors que Myrick et Sanchez lâchaient leur groupe pour enquêter sur une légende urbaine locale, Leah Sullivan surfe sur le succès des émissions Cold Case, pensant pouvoir résoudre un crime faisant désormais parti du folklore local. Elle va ainsi interroger et filmer les habitants du coin susceptibles de lui apporter de nouvelles informations dans l'affaire. Nouant rapidement une relation avec un policier du bled, elle obtiendra ce qu'elle est venue chercher, sans oublier un succès d'estime et une potentielle future gloire professionnelle. Moins affamé de Buzz que l'énergumène de Spree, elle n'en reste pas moins le reflet d'une génération au narcissisme décomplexé, obligée de se mettre en image pour assouvir son besoin de reconnaissance.


Plus proche dans sa démarche du Curse of Blair Witch avec ses interviews de locaux et son enquête que du Project lui-même, la mise en scène agit comme un miroir égocentrique et autocentré déformant, évolution désormais visible par le dispositif de captation lui-même. Présente aux côtés des interviewés pour leur tirer les vers du nez, Leah surjoue, intrigue, relance, dans un enchaînement de rictus et de grimaces dont on peine à distinguer le superflu du naturel, le forcé du jeu simplement raté. Alors que l'introduction promettait une enquête glauque et malfaisante, dans le sillage de ces reportages sur des affaires de meurtres sacrément addictifs, le rythme se prend les pieds dans le tapis, enchaînant les conversations avec témoins au jeu approximatif lors d'un second tiers poussif et qui semble grandement improvisé pour gonfler artificiellement la durée du métrage.


Mais comme pour le Blair Witch version 2016, signé par ce tâcheron d'Adam Wingard, qui après plus d'une heure d'errance complètement foireuse, délivrait un dernier quart d'heure tout droit sorti des enfers, qui entraînait le spectateur dans un roller coaster horrifique dont on ne sortait pas indemne, la magie opère (un peu). The Lost Footage relève la barre lors d'un dernier acte plutôt habile et anxiogène. Bien pauvre en frissons durant sa première partie malgré une apparition très subtile en arrière plan qui glace les os, le duo de réalisateurs, qui n'est autre que le couple à l'écran (Anna Stromberg et Burt Grinstead), s'enferme dans la dite maison pour une partie de cache-cache étouffante, qui tire tout sa puissance dans ses dernières minutes à la faveur d'une obscurité quasi totale, ou chaque ombre, chaque mouvement annonce un danger mortel imminent.


Sorti la même année que le très fumeux In a Stranger's House, les deux titres illustrent à leur dépens leur époque. Ils constituent des objets narcissiques fascinants, où à défaut de savoir filmer l'horrifique, on se contente de mettre en scène ses propres réactions, comme une vulgaire vidéo React sur Youtube.

PowerSlave7
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le 15 mai 2024

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