Jusqu'au bout de ses rêves, là où la raison s'achève

Jesse, 16 ans, débarquée de Géorgie, tente sa chance à Los Angeles. Logée dans un motel minable, elle s’est liée d’amitié avec Dean, un photographe amateur lui ayant réalisé son premier book. Comme elle le dit elle-même, elle ne sait ni jouer, ni chanter, ni écrire. Son seul atout : sa beauté. Une beauté hypnotisante, qui fait d’elle le seul centre d’attention dès qu’elle rentre dans une pièce (et qui de mieux qu’Elle Fanning pour l’incarner ?). Gravissant les échelons, Jesse va susciter de plus en plus d’admiration, mais également de jalousie…

The Neon Demon est un film sur la beauté et l’attraction-répulsion qu’elle engendre. C’est l’histoire de trois femmes, éperdument fascinées par Jesse, parfois jusqu’à l’érotisme. Chaque seconde en sa présence leur rappelle qu’elles ne pourront être que des ersatz de la divine créature qu’elle est, à grands renfort de chirurgie esthétique. Des femmes souhaitant tellement s’approprier sa beauté qu’elles finiront par la dévorer au sens propre. L’influence du Parfum de Süskind est perceptible jusque dans ce final particulièrement gore. Comme Grenouille, Jesse ensorcelle, attire d’une manière charnelle et animale, éclipsant complètement tout ce qui se trouve autour d’elle. Grenouille est maître dans l’art de captiver les nez, Jesse dans celui de captiver les yeux.

Cependant, The Neon Demon est aussi un film sur le monde de la beauté, un miroir aux alouettes qui finit par corrompre toutes celles qui s’y laissent prendre. Par narcissisme, Jesse renoncera à son seul contact humain (Dean) dans ce monde qui ne l’est pas du tout. Visuellement, le film s’avère autant sensuel que glaçant ; sensuel par les regards, les rêves doux et les sentiments (parfois très charnels) que la beauté inspire ; glaçant par cet univers de la mode lissé à l’extrême, jungle impitoyable de mannequins standardisés où l’homme (et la femme) est plus que jamais un loup pour l’homme. Sous le maquillage, des cœurs pourrissants... Dans cet univers, la seule beauté ayant un peu d’âme est celle de Jesse, cristalline mais radieuse. C’est ce qui fera son succès, mais également sa perte…

Le réalisateur joue beaucoup avec les lumières et les couleurs. À l’écran, très peu de dialogues, mais des intérieurs épurés, des jolis minois de papier glacé ultraesthétisés, de longs plans traversés par un synthé conjuguant à merveille terreur froide, volupté et mélancolie. L’ambiance du film est globalement très sombre, ponctuée de passages très éthérés à l’atmosphère très lynchienne, d’autant qu’on y traite de thèmes fort : un propriétaire de motel violant les lolitas à qui il « offre » asile, des starlettes jusqu’au-boutistes qui iront jusqu’à pratiquer des rituels sataniques pour arriver à leur fin…

The Neon Demon est un vrai trip cinématographique, une ambiance dramatico-horrifique délicieusement vintage, esthétiquement et musicalement très réussie. Crépusculaire, mariant les extrêmes avec une poésie unique, et magnifiquement porté par Elle Fanning, il parvient à saisir la beauté et tous ses côtés obscurs comme rarement auparavant.