Aux propres dires de Nicolas Winding Refn, l'approche cinématographique du réalisme à ses débuts ne l'intéresse plus et il se consacre dorénavant dans l'esthétisme irréel qui caractérise ses films depuis BRONSON. En découle une approche distanciée de ses personnages, qui n'existe plus en tant qu'êtres humains mais en allégories, ce qui suggère que ses films fonctionnent comme des métaphores à base de symboles. Le premier problème est qu'il n'a strictement rien à dire. En témoigne le fait qu'il n'arrive jamais à dépasser l'exposition de ses allégories (bien fichues et intéressantes à la base) pour proposer une confrontation entre elles qui permettrait d'aboutir à un propos sur le sujet qu'il aborde, au lieu de se contenter d'aligner des clichés désincarnés dénués de liant. Ce qui se confirme par l'absurdité arty des finaux de VALHALLA RISING, ONLY GOD FORGIVES et aujourd'hui THE NEON DEMON qui semble être plus la conséquence d'une absence de ligne directrice de Refn qu'un travail sur l'absurde et le nihilisme (comme les frères Coen savent le faire). Le deuxième est que sa liste de symboles est d'une pachydermie à faire pâlir son compère Lars von Trier, lequel ne parait jamais être dupe de la lourdeur de sa démarche, au contraire de Refn qui se rêve un mélange d'Alejandro Jodorowski (qui a déjà beaucoup de problèmes à être un auteur subtil) et d'Andrei Tarkovski à la sauce moderne et populaire (hormis DRIVE, ses films ne semblent pourtant exciter qu'une part très réduite des amateurs de cinéma, la plupart des gens non acquis à son Cinéma désertant la salle avant la fin de la séance).
L'origine de ces problèmes semble venir ici de l'absence de garde-fou : Refn cumule à la fois les casquettes de réalisateur, scénariste (avec deux scénaristes ayant travaillé le screenplay, l'histoire revenant à Refn) et producteur (avec une pelletée d'executive producers, le titre étant dans la profession plutôt honorifique que véritablement décisionnaire). A partir de ces éléments, je suppose que Refn travaille globalement comme le seul maître à bord, sans contre-pouvoir véritable pouvant mettre une holà à ses élans, ou du moins les réorienter. Refn semble en effet donner le meilleur de lui-même lorsqu'il travaille essentiellement sur la réalisation (ce en quoi il excelle, ça tombe bien c'est son métier), tout en partageant l'écriture (BRONSON) ou la laissant à quelqu'un d'autre (DRIVE) : ce qui lui permet d'incorporer dans sa réalisation sa personnalité à une autre voix qui a quelque chose à dire sur le sujet, et donc de densifier le propos pour dépasser la simple exposition d'allégories qui jamais ne s'entrechoqueront.


Toujours de la bouche de Refn, THE NEON DEMON serait donc une teen-age comedy horror movie dans le milieu du mannequinat dans ce qu'il a de plus vulgaire. La partie teen-age est donc principalement constituée par le fait qu'Elle Fanning est une jeune actrice, et que trois personnages féminins bitcheront des répliques sur elle. La partie humour concernera deux plans avec un mouvement exagéré qui peut faire rire (ou alors l'élément extradiégétique d'un beauf dans la salle qui siffle la réticence à un rapport sexuel non consentie de Jesse, mais je doute que cela fasse partie de l'approche de Refn). La partie horror, tout naturellement, se concentrera sur un puma bondissant (vous avez peur hein ?), des jets d'hémoglobines vulgaires et hors propos (j'y reviens) et une musicalité (ainsi qu'une photographie) très inspirée par Dario Argento, même si l'ambiance pesante s'approche plus de l'ânerie estudiantine que de l'épouvante viscérale de ce dernier.


Du monde du mannequinat, Refn semble avoir trié les clichés qu'il voulait utiliser, ce qui s'incrémente dans son approche allégorique pour former un propos stupide et ignorant. Donc les seuls personnages véritablement odieux seront bien évidement des femmes. La drogue n'existe pas. La Beauté est un cadeau de la Nature, ne doit être l'objet d'aucun effort et n'est aucunement sujet à construction sociale ; ce qui en soit ne serait pas un problème si le film n'avait pas choisi de ne fonctionner que sous forme d'allégorie et si l'approche visuel contredisait les propos des personnages. Alors que celle-ci ne remet jamais en perspective le travail du mannequin comme une forme d'aliénation patriarcale (les hommes issus de cet univers dans le film étant présentés juste comme des professionnels, avec leur grain mais professionnels avant tout) qui requiert une destruction méthodique de son propre corps pour entrer dans le moule. Ce qui aurait pourtant coller exactement avec l'approche du genre de Refn, sauf que déplaçant les enjeux gores ici totalement hors de propos car à base d'hémoglobine et de cannibalisme ("lé fâmes son dé gouls"), alors que cela aurait pu passer justement par la destruction corporelle via la drogue, l'anorexie, la boulimie... des éléments qui témoigneraient d'une véritable compréhension du milieu qu'il aborde, tout en ayant une démarche critique intense. En l'occurrence, lorsqu'au détour d'une interview, Refn déclare qu'il est "le féministe ultime", on a tendance à lever les yeux au ciel tellement la remarque, emprunte d'une démesure toute naturelle chez lui, est précisément totalement à côté de la plaque, le film n'amorçant strictement aucune critique féministe constructive et précipitant bons nombres de clichés misogynes.
Ses idées, intéressantes mais trop éparses, sont malheureusement placardées avec la balourdise qu'on lui connait ("tavu cette maquilleuse de mannequins nettoie aussi les morts dans un morgue, tu l'as comprise la parallèle morbide ? non ? alors laisse moi te faire une scène de saykse avec un cadavre").


Refn confirme donc après ONLY GOD FORGIVES que les seules métaphores qui intéressent l'adolescent en lui sont celles sexuelles (le personnage de Keanu Reeves ne servira d'ailleurs qu'à une "fellation" grand guignolesque), quand bien même elles ne construisent aucun propos et que leur mise en image semblent sortir de l'imaginaire d'un étudiant sur ses premières croûtes. La force de THE NEON DEMON est d'égaler la débilité du propos du syndrome d’œdipe dépeint dans OGF, ce qui n'était pas franchement une mince affaire. Au moins, il en a l'air fier, exhibant au moins sept fois son nom dans le générique de début et de fin, allant même jusqu'à sous-titrer son film avec ses initiales, qui finissent d'asseoir la démarche auto-satisfaite de l'entreprise et l'égo inversement proportionnel à la qualité du film de son Créateur qui a un besoin suffisant d'apposer sa griffe sur chaque plan même lorsque cela ne fait qu'appesantir la démarche déjà très formolée.
Bien évidemment, le film plaira aux fans du monsieur qui en garderont une photographie travaillée à l'extrême et une approche dite "expérimentale". Laquelle pille encore et toujours les films arty des années 70 et les publicités de l'ultra-luxe : ce qui aurait pu s'inscrire dans une démarche très intéressante si cela avait été fait avec une vraie idée de retourner leurs codes au lieu de les singer dans des séquences inutiles à la narration autrement que pour affirmer que oui, on est bien dans un film de NWR. Ça, on le sait, on est entré dans la salle parce que c'est effectivement son film et on connait le talent du monsieur, mais ça serait bien qu'il arrête de vouloir nous avoir à l’esbroufe et qu'il se laisse aller plus simplement. II en sortirait grandi, et nous aussi.

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le 4 juin 2016

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Leto_toro

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