Je tiens tout d'abord à préciser que je n'ai malheureusement pas encore eu l'occasion de lire le livre sur lequel se base le film. Mon point de vue est aussi vierge que Michael mais je ne demande qu'à être autant tourmenté par le livre que celui-ci par Anna (Kate Winslet).
Anna est une contrôleuse de tickets de tram, ce qu'il se fait de plus automate et froid. Elle est plutôt efficace et taillée pour l'emploi, tellement qu'elle se verra offrir une promotion au sein du siège centrale. Ce fait constituera le point culminant du film qui par cette mutation/départ verra le monde des protagonistes s'effondrait. Michael est un adolescent comme il y en a des millions, en rébellion face à ses parents, bon à l'école mais un brin rebelle, il est le reflet même de l'adolescence. Il est l'adolescence dans la fleur de l'âge.
Le film tourne autour de ces 2 personnages au fur et à mesure de leurs vies respectives. On ne s’intéresse pas trop aux personnages secondaires, ils interviennent furtivement à des moments X et au profit des seuls personnages principaux. C’est l’un des reproches que l’on peut faire au film de ne pas avoir développé (ou mal développé) certains autres intervenants.
Kate Winslet (Anna) est méconnaissable dans ce film. On sent directement un malaise certain chez, et envers, cette femme. Elle est autant caractérisée par la froideur arctique de son comportement que par une détresse émotionnelle inadéquate. Elle n’appellera jamais Michael par son prénom, elle se contentera de l’appeler « Garçon » jusqu’à la fin. Mais cette distance nominative ne viendra jamais la contrarier dans ses envies, elle ne réagira pas quand elle se rend compte qu’il la regarde mettre ses bas, elle se dénudera directement après avoir compris ce qu’il voulait, elle est autant ouverte aux désirs de Michael qu’elle n’est distante dans la relation qu’elle entretient avec lui. Leur relation sexuelle transpirera la pure mécanique, on se déshabille et on fait l’amour.
Pour moi, le personnage d’Anna est caractérisé, d’une part, par ses gestes mécaniques, mais aussi, et surtout, par un regard d’une dureté implacable. La scène qui résume son état émotionnel est celle où elle prend son bain face à un Michael en larmes et lui proclamant son amour. Elle se contentera de répondre par l’affirmative aux questions sur ses sentiments par de très légers mouvements de tête et une moue boudeuse. La complexité du personnage nous explose en pleine face.
Le début des lectures de Michael donnera une certaine, et supposée, profondeur à leur relation. On lit d’abord puis on fait l’amour. Voici une légère touche de romantisme. Les lectures seront l’un des rares moments où les émotions d’Anna se libèrent, elle est passionnée par l’Odyssée, elle rigole d’Huckleberry Finn, elle pleure à la lecture de ?, elle est choquée par Lady Chatterley, elle est d’ailleurs choquée par ce choix de lecture de Michael … un moment d’hésitation et elle demande à Michael de quand même continuer sa lecture.
La relation d’Anna et Michael donnera l’impression de ne pas avancer (a-t-elle bougée à un moment d’ailleurs ?) et d’être vouée à un échec certain. Le départ surprise d’Anna viendra anéantir Michael, le changer à tout jamais, l’impression est d’autant plus vraie que ce départ/rupture correspond avec le début du temps des amours adolescentes, la mixité dans les écoles arrive, un été ensoleillé en bord de lac, des jeunes filles et jeunes hommes en maillot, le contraste est saisissant. Michael traîne son vague à l’âme dans ce décor de jouvence.
La seconde partie se déroulant lors des études universitaires de Michael est d’une noirceur insondable. Michael transporte son cœur brisé au milieu de l’insouciance du bel âge. Il reste insensible aux avances, il bosse d’autant plus. Il surnage pour mieux sombrer lors du procès où il prend brutalement, et par surprise, en pleine face la réalité cachée du passé d’Anna. Son visage se décompose littéralement au fur et à mesure du procès, l’effarement se lit sur son visage. La blessure se fait trop grande à supporter.
S’il faut reconnaître une nouvelle fois le talent de Kate Winslet, continuant d’incarner une Anna inadaptée à la réalité de ces actes, j’ai eu un peu de mal avec cette partie. J’ai l’impression qu’il manque des éléments pour bien comprendre et rentrer dans cette partie. On ne développe pas certains personnages secondaires, des répliques sont difficilement compréhensibles, il y a quelque chose à laquelle je n’ai pas accroché. Le récit réussit malgré tout à nous tourmenter comme avec la réaction de Michael de ne pas partager l’information sur l’illettrisme d’Anna, cette dernière étant accusée d’avoir rédigé un rapport faisant acte des meurtres par ces coaccusées. On se crispe à l’idée d’être à la place de Michael, être pris dans une tornade émotionnelle mêlant son première amour, le désir animal, les atrocités commises et assumées par Anna, le poids du 3e Reich sur la société allemande, ne pas avouer son illettrisme par amour tout en la condamnant.
Le petit bémol est de ne pas expliquer les raisons qui peuvent pousser une jeune femme à se comporter de la sorte, de cautionner ces faits par la simple acceptation d’un ordre. On ressent vraiment qu’elle traite ses prisonnières comme on traiterait une tâche administrative. La déshumanisation est aussi grande que son respect aigu des ordres donnés. L’église brûle ? On ne peut pas libérer les prisonnières car elles vont s’enfuir. Vous auriez fait quoi à sa place ?
La matière à sonder est tellement immense que c’est dommage d’être passé à côté. La dureté de cette partie est terriblement efficace par contre, mon petit cœur a eu du mal. Michael qui ne rend finalement pas visite en prison à Anna, la tristesse sur ce visage de marbre, l'air hébété et brisé de Michael, c'est fort, très fort. Le réalisateur, à ce niveau, réussit son pari.
L'ultime partie se centre sur Michael à l'âge adulte dans la peau d'un Ralph Fiennes des plus bons dans ce rôle. Les faits de la vie ont transformé Michael, l'ont fait se fermer au monde. A l'image de Kate Winslet, Ralph Fiennes laisse transparaître ses non-émotions, son visage lisse laisse tout passer. Sa décision d'envoyer des cassettes audios nous fait repasser du côté positif de leur relation comme dans la 1e partie. On sent l'explosion de bons sentiments dans le chef de Michael ... jusqu'à un certain point. En effet, grâce à ces envois, Anna est motivée pour commencer à apprendre à lire et écrire. Elle y arrivera et on arrive à être fier d'elle. Elle écrira des lettres à Michael ... qui ne lui répondra jamais. Ses bons sentiments auront toujours un plafond de verre, une blessure qui ne se refermera jamais. A ce moment du film, on espère enfin une accalmie dans les coups durs, juste un peu d'espoir dans ce monde anéanti. Anna arrive au bout de sa peine et peut bénéficier d'une sortie à condition d'avoir un plan de vie (travail, logement, etc.). Michael étant son seul contact, c'est lui qui sera contacté par l'établissement pénitencier. Leurs retrouvailles se passeront à l'image du déroulé du film, Anna est émue mais garde ce visage et ce regard durs, elle l'appelle toujours « Garçon ». Michael est distant, traite sa sortie comme on traiterait administrativement un plan de réinsertion ... mais il a quand même tout prévu pour elle. Il tient à elle mais garde cette distance de sécurité que l'on a envers les gens que l'on aime mais qui ont réussi à nous faire un mal profond nous condamnant à vivre avec le souvenir de cette blessure. Le suicide d'Anna en décidera autrement. Elle n'aura pas supporté sa sortie et n'avait pas la force de faire face au monde qu'il l'a condamné.
Son suicide est le dernier coup de couteau dans le cœur de tout ceux qui auront véritablement vécu ce film.

Si le film commence avec la naissance de l'amour d'une vie, il se termine sur le deuil, dans le sens premier, de celui-ci. Michael respectera les dernières volontés d'Anna en allant à la rencontre de la fille d'une des victimes de ses actes afin de lui céder les économies d'Anna. Celle-ci les refusera mais comprendra vite le pourquoi du comment de la volonté de Michael. Cette scène est grandiose car on ressent dans le même temps l'impossible pardon tenace d'une victime face au repentir de son bourreau et l'humanité d'une femme qui comprend qu'elle a en face d'elle un homme qui a aimé.
Pour terminer, je n'arrive toujours à déterminer clairement la qualité dudit film. L'histoire m'a emporté, le film réussit clairement à nous transmettre émotions sur émotions sans virer dans le mélo, on a envie de comprendre, d'analyser, etc. Mais j'ai une sensation de manque, il y a comme un truc qui manque pour donner du liant au film, certains personnages secondaires sont mal définis et je déconseille fortement le film aux âmes sensibles. C'est dur, très dur.
Je commençais cette chronique en signalant que je n'avais pas lu le livre, et bien j'en ai envie maintenant ... mais comme trop souvent, j'ai peur d'être déçu par le film après coup. Je pense que le livre est beaucoup mieux que le film et qu'il m'expliquera certaines zones d'ombre. Enfin, j'ai quand même réussi à torcher un long texte sur un film sur lequel j'ai quelques doutes. Faites votre avis ! Et bon courage à ceux qui liront jusqu'à la fin.

Toine1985
8
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le 10 févr. 2018

Critique lue 301 fois

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