Alors que la première moitié de l’année se termine, on commençait à se dire que 2022 manquait d’un bon film d’horreur. Nous avons eu droit à quelques bribes, entre le nouvel opus de Doctor Strange réalisé par Sam Raimi (le choix de citer celui-ci en début de critique de The Sadness n’est pas anodin) qui contient quelques codes du film d’horreur mais sans en être un, les films Men (Alex Garland) et Abuela (Paco Plaza) qui sont de qualité mais qui brillent plus par leur message de fond que par leur forme et la mise en scène du pur genre horrifique, ou encore le Coupez ! de Michel Hazanavicius qui est convaincant mais n’est réellement bon que lorsqu’il copie bêtement le film japonais dont il est le remake (Ne coupez pas), on peine pour le moment à voir quel sera le film de genre de l’année. The Sadness de Rob Jabbaz sera sans doute l’un des principaux concurrents à ce titre.


Remarqué depuis quelques mois par les plus grands amateurs du genre dans les différents festivals (notamment le PIFF, L’étrange Festival ou encore celui de Gérardmer, où il a reçu le prix du meilleur film), ce long-métrage taiwanais trouve enfin une date de sortie chez nous en ce 6 Juillet. Il a beau être (très) mal distribué, au moins il sort en salles, et on ne s’en plaint pas. Les adjectifs employés pour décrire et promouvoir ce film ne sont pas dans la demi-mesure et annoncent la couleur : choquant, horrible, gore, sanglant. Le film est d’ailleurs interdit au moins de 16 ans avec avertissement dans notre pays, et a donc échappé de peu à l’interdiction aux moins de 18 ans, ce qui aurait été sévère mais compréhensible au vu du contenu de l’œuvre : hémoglobines par dizaines de litres, barbaque, démembrements, et même viols (et pas toujours par les orifices les plus habituellement explorés). C’est extrême, et on en vient au principal : de quoi parle The Sadness ? En terme d’intrigue concrète, le film nous donne à suivre un couple taiwanais qui tente de survivre chacun de son côté au cœur d’un chaos infernal : un virus d’apparence bénin survenu un an plus tôt et ayant contaminé 4,5 millions de personnes (sans causer de décès) mute soudainement, transformant les infectés en fous à lier animés uniquement par des pulsions de violence, de meurtre sanglant et de viol.


Il ne s’agit pas du tout d’un film de zombies, l’amalgame étant de plus en plus fréquent. Ici, les infectés sont littéralement des vivants infectés. Le virus ne tue pas les victimes, ce ne sont pas des morts revenus à la vie, ce sont des personnes qui sombrent dans la plus pure folie. On y retrouve évidemment des pans de la figure du zombie qui, lui, est animé par une unique chose (sa faim de chair humaine), tandis que les infectés de The Sadness, bien qu’ils soient devenus cannibales, sont plutôt animés par des désirs d’actes morbides et sexuels. Ils commettent des atrocités inimaginables et en rient. Les nombreux acteurs incarnant les infectés sont parfaitement dirigés par Jabbaz (dont c’est le premier long-métrage, un réalisateur qui sera indéniablement à suivre de près) : à travers leurs yeux noirs, leurs actes immondes et leur rire entre le démoniaque et l’enfantin, ils sont profondément malsains et parviennent à instaurer le malaise. Ils sont sans doute à ce jour l’une des plus intenses représentations cinématographiques de la folie pure et de l’assouvissement des pulsions les plus extrêmes et profondément enfouies de l’être humain (car c’est de ça que parle en réalité le film, nous y reviendrons).


The Sadness est le film de tous les excès, ou presque. C’est peut-être cela qui est d’ailleurs un peu dommage, si l’on devait lui faire un reproche. Bien qu’il soit très jusqu’au-boutiste, sans doute aurait-il gagné à l’être encore plus. Rob Jabbaz choisit de mettre du gore de façon extrême, même chose pour la vitesse, ou encore l’inventivité. Quand ça va vite, ça va très vite. Quand c’est gore, c’est très gore. Quand c’est inventif, c’est très inventif. Quand il fait des références à d’autres films, il le fait de façon on ne peut plus clair en refaisant quasiment certains plans bien connus. L’image un peu plus haut avec des infectés en plein sprint nous rappelle fortement un plan de 28 jours plus tard, Cillian Murphy en pleine course étant ici remplacé par un Berant Zhu (d’ailleurs très convaincant) à scooter. Un plan d’explosion de tête dans le film est littéralement un remake de l’image la plus célèbre du Scanners de Cronenberg. En revanche, le réalisateur choisit de mettre de l’humour noir, sauf que ce n’est ni récurrent, ni extrêmement drôle, ça prête juste à quelques sourires jaunes pour les plus sadiques qui sont friands d’humour très noir/trash. Même constat pour la morbidité jamais poussée à l’extrême. C’est démesurément gore, mais très peu morbide, et quand ça a l’occasion de l’être véritablement, ce n’est pas montré à l’image mais suggéré en hors-champ (exemple : la séquence du viol oculaire).


Il reste néanmoins difficile de dire du mal de ce film tant il est maîtrisé et pertinent dans ce qu’il raconte. C’est rythmé, c’est fun, c’est malsain, c’est parfois beauf et ça manque d’un peu de subtilité sur certains détails, mais ce n’est ni bête ni méchant. Cette outrance sanguinolente n’est pas gratuite, elle sert le propos et anime cette réflexion très intéressante autour de la société moderne, de ce qu’on a le droit de faire ou non, de notre exposition à la violence et de ce que ça dit de nous en tant que spectateur de ce film. Le but est évidemment de s’identifier au couple de protagonistes qui tente de survivre mais certaines des scènes les plus hardcore effritent la frontière entre les infectés et les survivants, tout comme elles placent un point d’interrogation assez tracassant sur notre position de spectateur d’un tel film volontairement vendu comme extrêmement choquant : en prenant du plaisir à aller voir volontairement de telles images, auxquelles on s’attend et que l’on vient chercher de nous-même, ne serions-nous pas plus proches des infectés qui prennent un malin plaisir à commettre les actes les plus atroces qui soient ?


Critique à retrouver sur mon site personnel : https://gubicine.wordpress.com/2022/07/06/the-sadness-2022/

papagubida

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