A l’occasion de la sortie de Gone Girl la semaine prochaine, il était primordial de revenir sur ce qui est probablement le film le plus marquant de David Fincher. Reconnu aussi bien pour Seven que Fight Club, il serait bête d’oublier ce projet complètement fou qu’est The Social Network tant le réalisateur se l’est approprié pour en tirer le meilleur.

Car, comme beaucoup de monde à l’époque, voir le nom de Fincher à la tête de ce projet semblait mauvais signe. Un excellent réalisateur à la tête d’un projet de commande qui souhaitait à l’époque surfer sur l’actualité ? Non merci. Bien heureusement pour nous, nous avions omis le fait que David Fincher choisit ses projets avec précaution, et qu’il y avait donc quelque chose de plus fort qui se tramait ici. Toujours ancré dans sa thématique de l’homme en perdition, le film de Fincher a osé pousser le délire encore plus loin. Narrant donc le récit de Mark Zuckerberg, futur créateur de Facebook, le film revient donc de manière assez romancée sur la manière dont tout s’est joué et comment le processus de « création » du site a littéralement pris de court le monde. Car bien qu’à première vue le film ne fait que narrer des faits et traiter la manière dont Zuckerberg essaie de trouver sa voie, celui-ci s’inscrit d’une manière très habile dans notre monde contemporain, critiquant donc au passage tout le système établit alors. Zuckerberg n’est pas simplement un frustré en amour, et bien qu’il agisse au départ par pure revanche sur les gens de son âge, il s’agit là avant tout d’un homme très en avance sur son temps.

Comme Bill Gates ou Steve Jobs à leurs époques respectives, Zuckerberg change les règles et impose son système par son génie. Le monde d’antan est terminé, et le héros l’a très bien compris quand il commence à se rendre compte de la supercherie du système Américain de l’époque ; entre université passées de mode, clubs select aux bizutages ridicules ou encore spécialistes qui ne comprennent plus rien. En un sens, à travers ce pied de nez ultime qu’est Facebook – décalque virtuel des Final Clubs – qui a forcé tout le monde à revoir la base même des règles sociales, l’on pourrait presque être reconnaissant envers ce jeune homme d’avoir poussé le monde entier à évoluer vers un nouvel âge. Un âge ou toutes les règles pré-établies sont brisées, comme justement durant cette période de l’âge d’or de l’informatique durant laquelle les ordinateurs se propageront dans le monde entier.

Malheureusement le résultat n’est pas le même, et c’est ici que The Social Network prend tout son sens. Pris dans un engrenage, le jeune homme perd tout contrôle sur sa création, essayant d’assurer la cohésion en jouant les fiers à bras, se comportant comme le dernier des connards ; chose qu’il n’est pas au départ. Pathétique en un sens, on sent pourtant ici que Fincher porte un regard plutôt bienveillant sur Zuckerberg avec cette double facette nerd/boss, qui évolue et régresse sans cesse dans sa construction narrative. Il faut dire également que le scénario d’Aaron Sorkin est un petit bijou, aussi bien dans son écriture que sa structure, permettant de narrer à la fois des faits réels comme de concevoir des personnages aux personnalités multiples. L’on se croirait parfois devant un film d’espionnage dans lequel chacun joue un rôle sur l’échiquier, avec les coups en traître comme ceux plus instinctifs. Chose qui à son importance car enfermés dans leurs déboires et leurs créations, Zuckerberg comme les jumeaux Winklevoss agissent sans réellement prendre la mesure de leurs actions. Bien sûr, leurs idées valent des milliards (ce que n’ont pas l’air de penser leurs avocats), mais à trop penser à cette dimension financière, ils en oublient qu’ils ont changés la face du monde. Et c’est là que se pose le problème : personne ne contrôle quoi que ce soit. Le terme même de « sociabilité » est remis à plat sans que pour autant des règles n’aient été établies, entraînant des débordements et des répercussions réellement dangereuses. Et bien que Zuckerberg arrive enfin à maturité à la fin du film, le film nous adresse de manière subtile cette idée que tous faisons désormais parti de ce club.

Au final c’est à travers un sujet d’utilité publique que David Fincher arrive à la fois à signer un véritable film d’auteur et un film populaire que tout le monde peut appréhender. A la fois simple et complexe dans sa structure, mêlé d’autant plus à la magnifique bande-son de Trent Reznor & Atticus Ross, le réalisateur nous livre son film le plus sincère et le plus inspiré depuis longtemps. Réussir à faire d’un sujet aussi mondial un film aussi personnel est la marque des grands.
Florian_Bodin
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le 2 oct. 2014

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Florian Bodin

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