Par où commencer pour parler d'une œuvre aussi riche, aussi foisonnante qu'est The Tree of Life. Pour comprendre la portée de l'oeuvre, il faut avoir quelques éléments autobiographiques en tête. Bien qu'étant le réalisateur le plus mystérieux de la planète cinématographique, Terrence Malick, est celui qui se dévoile le plus à travers ses films. Une petite recherche, nous apprend qu'il a grandi au Texas, et qu'il a perdu un frère, jeune. Curieusement, le sujet même de cette épopée de la vie.
The tree of life est un film foisonnant qui a l'ambition d'embrasser la vie sur pellicule. Malick part à la recherche du beau, de l'épiphanie quotidienne, de ce geste qu'inaugure la grâce humaine. Cette recherche de la beauté passe par une échelle cosmique et intimiste. Au cœur de la vie d'une famille, dans les années 50, 60. Il ose les parallèles les plus surprenants, le grand écart entre la naissance du monde, et la naissance d'un homme, de la création de l'univers et la création de la cellule familiale. Chaque geste, même le plus infime semble résonner au fin fond du cosmos.
Le réalisateur, par sa caméra, révèle la beauté du geste. Cette main, effleurant de ses doigts l'eau qui coule du robinet. Cette caresse solaire envers l'enfant, entouré dans un drap blanc. Le fait de courir, insouciant, au milieu des champs. Il nous montre toutes les facettes de l'enfance. La découverte de l'autre. Lorsque les enfants s'amusent à marcher bizarrement dans la ville, ils sont confrontés à la différence, un handicapé. Le spectateur assiste à la naissance de la culpabilité. Lorsque l'un tire sur le doigt de l'autre avec un pistolet à bille, on est confronté à la naissance de la cruauté enfantine. Avec le vol d'un vêtement féminin dans une maison voisine, on suit la naissance du désir. Malick enregistre les naissances des gestes, que ceux-ci soient de l'ordre du cosmos (naissance de la terre, de la vie) ou de l'ordre de l'humain.
Au delà d'un film sur le commencement de toute chose, c'est un film sur la fin. La perte d'un être cher. La façon dont un événement vient atteindre l'être adulte ( Sean Pean). Après le choc de la douleur, merveilleusement bien retranscrite par ce silence de plomb dans ce décor urbain vide de sentiment, vient le temps du souvenir, de la recherche de l'origine. Cette partie est sûrement la plus belle du film. Le montage devient aussi fluide que le courant d'un ruisseau. Les jump cut n'offrent pas une esthétique du choc ( contrairement à des films comme A bout de souffle par exemple) de la coupe franche mais plutôt créent des passerelles, des connexions entre les images. On a l'impression que le matériau de base était énorme, et que Malick a gardé l'essentiel, la quintessence de chaque instant mais tout en cherchant ce qui faisait l'union souterraine entre les plans.
L'utilisation de la voix off dans les films de Malick est particulièrement surprenante depuis La Ligne Rouge. La tradition cinématographique a fait qu'elle était émise d'un personnage pour relater des enjeux narratifs. Or ici, elle est voix intérieure, voix interrogative qui cherche ses réponses à travers le souvenir d'instants vécus, d'instants volés au passé, d'instants mémorisés par la personne de Sean Pean. La voix off est aussi introspection, elle fait le constat du déroulé d'une vie notamment à travers le personnage de Brad Pitt qui analyse son propre comportement d'homme autoritaire envers ses enfants. Il y a un don chez Malick de caractérisation des personnages. On peut saluer les prestations remarquables de Brad Pitt et Jessica Chastain. Chacun étant l'antithèse de l'autre en quelque sorte. D'un côté la grâce, l'insouciance, la liberté du mouvement remarquablement bien retranscrite par ses travellings en steady cam . De l'autre, la Nature, le sens de la responsabilité, comme lorsque Brad Pitt montre à ses enfants les limites de la propriété. Ici, le mouvement semble arrêté ou du moins délimité par une contrainte. Malick semble très inspiré du philosophe Rousseau. Cette inspiration paraît flagrante dans la scène tant décriée, des dinosaures. Beaucoup ont critiqué cette scène, en disant qu'elle était un caprice de plus du réalisateur. Or, Malick prolonge ce qu'il fait depuis le début du film. Enregistrer la beauté du geste. Ici, il nous montre la pitié naturelle, telle que l'a décrit Rousseau dans Discours sur l'origine de l'inégalité parmi les hommes. Les animaux ont une pitié naturelle, ce dinosaure épargne la vie de cet autre animal mourant. Pour la première fois, un réalisateur ose montrer, avec l'usage d'effets spéciaux, le quotidien d'une vie de dinosaure. Cette scène est le miroir inversé de Jurassik Park en quelque sorte (attention, j'aime Jurassik Park).
Autre scène, régulièrement décriée, la scène de réunion sur la plage. On ne peut pas démentir en effet le caractère religieux de cette scène. Mais aujourd'hui, le religieux semble avoir été banni du cinéma, comme si tout film ne devait nullement se permettre l'élan mystique, le saut dans le spirituel. Malick a fait ce saut. Le film se termine, naïvement diront certains, sur une note d'espoir. Tout le long du film, il a voulu nous montrer ces gestes de grâce de notre quotidien, ici, il a décidé de filmer la grâce même. Le long de cette plage, les acteurs semblent quitter leurs carapaces, ils deviennent des hommes, des corps, jeunes ou vieux. Des corps unis, qui s'embrassent, se touchent, semblent enfin se comprendre, être en communion. Le temps d'une scène.