Le cinéma de Midi Z dans un cadre chinois

The Unseen Sister (乔妍的心事) (2024) adapte la nouvelle La grande Qiao et la petite Qiao (大乔小乔) (2024) de l’autrice Zhang Yueran (张悦然), dont le récit traite de deux sœurs dénommées Qiao. L’une d’entre elles est un des enfants sans existence légale du fait de la politique de l’enfant unique chinoise, quand les parents n’ont ni voulu avorter (en se cachant parfois des autorités) ni voulu payer une amende.


Le réalisateur du film, Midi Z/Zhao Deyin (赵德胤), s’inspire de cette nouvelle pour son film, mais la mélange aux thématiques qui le touchent et qui font écho à sa vie. Ainsi, dans The Unseen Sister, une des deux sœurs s’est « sacrifiée » en suivant un homme, qui a cherché – sans succès - à faire fortune dans les mines de jade du Myanmar, ce qui a permis à l’autre sœur de belles études lui permettant de devenir actrice en Chine. De la même manière, Zhao Deqing (赵德青), le grand frère de Midi Z, au centre du film le plus intime de ce dernier, le documentaire City of Jade (翡翠之城) (2016), s’est « sacrifié » dans les mines de jade du Myanmar pour que Midi Z parte étudier à Taiwan où il est devenu un réalisateur reconnu. La difficulté de regarder en face cette culpabilité d’une réussite qui tient au sacrifice de ses proches et le ressentiment de ceux qui sont sacrifiés envers celui qui a réussi sont des thématiques qui intéressent davantage Midi Z que la politique de l’enfant unique, au point que cette dernière semble presque reléguée à une excuse scénaristique.


De plus, Midi Z continue de montrer au travers de The Unseen Sister, et plus précisément des scènes s’attardant sur les relations entre les deux sœurs et les hommes qui les entourent, les pressions et les violences exercées par des hommes sur les femmes, tant les plus pauvres qui immigrent que les plus riches qui évoluent dans le monde du cinéma. Ce n’est pas nouveau dans le cinéma de Midi Z : ce dernier s’est attardé sur les violences que subissent les femmes migrantes dans des films comme Poor Folk (穷人。榴莲。麻药。偷渡客。) (2012), Ice Poison (冰毒) (2014) et Adieu Mandalay (再见瓦诚) (2016), puis, à l’aide d’un scénario signé Wu Kexi (吴可熙), son actrice fétiche, il s’est centré sur les violences faites aux femmes dans le monde du cinéma avec Nina Wu (灼人秘密) (2019),


Néanmoins, contrairement à ses précédents films tournés au Myanmar sans autorisation, en Thaïlande, parfois sans parfois avec autorisation, ou tournés en toute légalité à Taiwan, cette fois Midi Z tourne un film chinois et choisit de se conformer et de contraindre ses thématiques au cadre de la censure chinoise. The Unseen Sister en est largement impacté. Sa critique de la politique de l’enfant unique, des inégalités qui frappent les deux sœurs parce que l’une est restée chinoise et l’autre n’a pu exister légalement qu’au Myanmar ainsi que des violences et des pressions que subissent les femmes, notamment dans le monde du cinéma chinois, ne peuvent donc exister qu’au prisme de ce cadre et cela se ressent dans la manière de souligner en fin de film qui sont les « méchants » de l’histoire (même pour certains personnages de migrants qui auraient probablement gagné à un traitement plus ambigu, semblable aux précédents longs-métrages de Midi Z).


Dans le contexte de cette contrainte de la censure, il est impossible de ne pas s’attarder sur l’ajout d’un carton et d’un happy end de fin qui arrivent comme un cheveu sur la soupe pour préciser explicitement que les « méchants » de l’histoire ont été punis « en accord avec la loi (依法) » (un élément classique du discours officiel chinois) et que la sœur actrice qui vivait à Pékin est disculpée pour les violences qu’elle a commises, car il est précisé qu’elles ont été infligées dans un cadre de légitime défense, contre un homme qui l’agressait. Il s’agit donc de rappeler que la loi chinoise est du côté des victimes, des « gentilles » du récit. Enfin, il est montré que les deux sœurs vivent heureuses mais… au Myanmar. Néanmoins, s’il est impossible de ne pas s’attarder sur ces éléments, c’est surtout en raison de ce que le carton et le happy end ne disent pas ou ne montrent pas. En effet, Midi Z n’a jamais montré dans son film, la police ou la justice chinoise mener une quelconque enquête à l’égard des migrants, des actrices violentées par leurs producteurs ou agents ou encore de l’enlèvement du bébé utilisé comme moyen de pression par les agresseurs des deux sœurs pour obtenir le plus possible d’elles. Au contraire, l’abduction d’un bébé et les pressions sur les femmes se font par le biais de contrats pour donner un vernis de légalité, en opposition à l'illégalité de la situation de la sœur sans papiers qui vient du Myanmar et qui accouche de ce bébé.

Justement, la punition de l’immigration illégale par la loi est aussi rappelée. D'ailleurs, selon ce carton, un migrant illégal reçoit la peine la plus lourde dans le film, quand bien même un autre personnage a commis des crimes au moins aussi graves que lui (l'agent de la sœur devenue actrice). Pour autant, la sœur qui a vécu au Myanmar n’est pas mentionnée dans ce carton de fin, même si elle n’a aucune existence légale et est une migrante illégale en Chine — bien qu’elle soit née d’une famille chinoise. La politique chinoise à la source de cette situation est donc soigneusement laissée de côté. Le happy end au Myanmar, même s’il est totalement incohérent, étant donné que la sœur qui vivait au Myanmar était recherchée dans ce pays à cause des dettes non remboursées de son mari, est donc bien pratique pour enterrer de telles ambiguïtés.


The Unseen Sister semble donc être avant tout un film dans lequel le spectateur peut retrouver un grand nombre de thématiques chères à Midi Z, qui font écho à son parcours de réalisateur et à ses plus grands films, quitte à reléguer au second plan la thématique qui paraît centrale de la nouvelle de Zhang Yueran à l'origine de ce film. La fin de The Unseen Sister semble cependant indiquer que Midi Z est cette fois contraint par les autorités chinoises qui imposent de ne pas remettre en doute la capacité de la justice chinoise à régler les problèmes évoqués dans le film et à donner raison aux victimes. Pour autant, si Midi Z obéit aux censeurs en intégrant ce discours sur la justice, il semble lui-même ne pas trop y croire et l’a intégré au minimum, à peine le temps d’un carton et de quelques scènes en fin de film, quitte à saborder la cohérence du reste de son film. En résulte un film aussi bancal que passionnant.

Créée

le 2 juin 2025

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Noe_G

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