Je n'ai pas de goût pour les films précédents de ce cinéaste, je n'ai pas suivi la grande vague Signs et Sixième Sens, je l'ai pris en cours de route, au moment du Village, et l'ai lâché presque aussitôt. Pourtant je dois dire que The Visit m'a subjugué. C'est un grand film de mise en scène, un film absolument moderne, où l'outil technique n'est pas au service d'une esthétique prédéterminée, mais invente cette esthétique, la conçoit, à partir de l'outil et de sa spécificité. Ici, donc, la caméra légère, numérique, souvent un appareil photo. Lynch en faisait, dans Inland Empire, la condition d'un horrifique plus pictural que jamais ; Blair Witch et surtout Cloverfield, de Matt Reeves, initiaient l'idée d'un cinéma de fiction type blockbuster à la première personne ; Shyamalan prend un peu du premier et beaucoup des suivants.
Ce qui est splendide, c'est qu'il ne s'agit jamais du procédé dit de caméra subjective, où les cinéastes cherchent à nous faire croire que la caméra est un oeil, rien de plus. Ni postiche ni prothèse, ce que nous voyons, dans The Visit, est le résultat d'un choix, d'une construction, d'un ensemble de circonstances. Ainsi, il s'agit de nous donner à voir ce qui a pu être vu, selon la façon dont les personnages pensaient le voir. Or ce qui est finalement vu modifie toujours un peu ce qui était pressenti, et l'angle doit être ajusté, le récit sans cesse reconstruit. C'est la beauté de ce film, qui ne cesse de détruire ce qu'il avance, de l'imbriquer autrement jusqu'à ce que ça fasse sens. Et si The Visit est bel et bien un film d'épouvante, c'est autant par sa capacité à faire peur avec des apparitions inattendues et des disparitions soudaines, que par l'épouvantable somme d'imprévus, d'inconnaissables que le réel offre au regard.
Shyamalan réussit un vrai tour de force : bien qu'il sabre sans cesse ses effets (l'horrifique est toujours rattrapé par la tentation comique, et réciproquement), bien qu'il assume en permanence sa limite (personnages minuscules, décors tout sauf grandioses, pyrotechnie limitée et de toute façon sans importance), il pose quelque chose qui tient tout le long du film. Des personnages, peut-être. Des personnages de cinéma, qui se définissent par ce qu'ils essaient de voir et voient finalement après avoir essayé.