Étonnant de retrouver la bédéiste-réalisatrice Marjane Satrapi à la tête de ce projet comique-horrifique américain – c’était loin d’être une évidence au regard de son parcours, mais finalement The Voices s’inscrit parfaitement dans cette continuité. Atmosphère cartoon, construction fine des couleurs : il y a dans The Voices cet esprit BD, légèrement loufoque, tout en étant profondément tendre et cotonneux.
C’est surement là la plus belle surprise de la part du film de Satrapi : ce mélange des genres absolument dingue, qui ne choque jamais et qui atteint, à chaque fois, la finalité de ses ambitions. La comédie horrifique virtuose laisse place au drame tragique sur la santé mentale et les fantômes du passé, le thriller intériorisé se mêle à la maestria visuelle de chaque plan. The Voices, en plus d’être un film malin – et de ne pas le cacher – s’amuse aussi avec le spectateur : aucune piste sensorielle n’est laissée, tout est trouble, en particulier le feedback face à l’écran, faut-il rire ou s’émouvoir ? S’attacher ou se répugner ? Dessiner, puisque c’est bien le mot, avec autant de malice et d’ambiguïté un serial killer aussi attachant, c’est une preuve de grand talent. Surtout si, au final, c’est pour délivrer une réflexion non moins passionnante et intelligente sur la schizophrénie et l’instabilité sociale.
Ryan Reynolds crève l’écran. Tantôt terrorisant, tantôt tragique, tantôt hilarant, Satrapi s’amuse de cette multiple-personnalité en empilant clin d’œil sur clin d’œil, référence sur référence, idée sur idée, alternant pastiche d’épouvante et allégorie cérébrale au travers d’un appartement. C’est non seulement le meilleur rôle de sa carrière, mais c’est en plus une interprétation excellente tout court – tout en nuances, chaque défaut devenant un charme fondamentalement appréciable.
Bien sûr que The Voices peut agacer de par sa lourdeur formelle, mais le film de Satrapi est d’une telle ingéniosité qu’il ne laisse aucun temps mort. Déluge d’émotions multipolaire aux voix nombreuses qui s’affirme tout aussi bien en conte macabre désenchanté qu’en délire fabriqué foncièrement doux et plaisant. Outre le talent inattendu de Ryan Reynolds, c’est la révélation d’une auteure désinvolte et polyglotte qui fait de The Voices un prodige marginal.