Michel Gondry apporte un objet documentaire sans oublier de faire son cinéma

Nous nous confrontons ici à un objet filmique intéressant et relativement inédit. D’une part, Gondry arbore une démarche documentaire en utilisant les outils du genre. Sa démarche a consisté à mettre en scène des personnages/acteurs amateurs. Ceux-ci se retrouvent dans un bus à la sortie du lycée dans le Bronx. Cette démarche amène à une fiction ultra-réaliste, ou le nom des personnages est également celui des acteurs, ou leurs caractères et comportements sont directement inspirés de leur vie réelle, et ou les dialogues semblent être totalement improvisés (bien qu’un script ait été scrupuleusement respecté). Ce docu-fiction nous imprègne d’une ambiance de quartier old-school grâce à une bande originale hip-hop et une grande variété d’images du Bronx. Le voyage en bus est une sorte de road-trip initiatique à travers la ville.


Ce voyage est aussi l’occasion de mettre en scène une continuité temporelle d’une fluidité absolument maîtrisée. Le film dure 1h45, le temps du trajet, et l’espace-temps est géré avec astuce afin que le spectateur ressente bien cette fluidité propre à celle que peuvent ressentir les passagers. Nous sommes passagers avec eux, et sommes portés au rythme des conversations et actions qui se déroulent dans ce bus. Le bus est ici un objet utilisé afin de représenter un cheminement en huis clos.

Michel Gondry à travers cette approche, dresse un profil impartial de la génération qu’il met en scène. Les personnages sont travaillés avec une exactitude extrême afin de ne pas verser dans l’exagération du stéréotype. Si les traits sont tirés, c’est que le perso/acteur est lui-même dans l’emphase. Il y a une variété absolue des caractères, et tout le monde y est représenté. De la bimbo écervelée, aux caïds du fond du bus, en passant par le bizut et le geek, on se retrouve face à un échantillon représentatif d’une génération. Alterner des images dans le bus avec des images de portables est une manière de bien ancrer cette digital generation dans la réalité de son époque. Il se sert de ces images de portables pour illustrer la cruauté de ses personnages. On y assiste à diverses scènes trash, représentant des camarades, que chacun se fait tourner via leurs smartphones.

Ce cheminement est une façon de dénoncer la superficialité et de faire tomber le masque de cette génération. En effet, au fur et à mesure que le bus avance et se vide, on voit les caractères changer. L’individu qui avait disparu avec le groupe, se dévoile peu à peu et on découvre les vrais visages de chacun. C’est ainsi que le titre prend tout son sens. Le ‘’We’’ s’est transformé en ‘’I’’ et il n’est plus possible de se cacher à travers la masse.

Ce film est une analyse de notre aptitude à changer avec le groupe. Ces jeunes, dont la futilité semble sans bornes, cachent un vide affectif et une tendresse insoupçonnée. Le film finit sur une touche d’espoir quand le trajet touche à sa fin, et Gondry montre qu’il n’est pas d’un cynisme absolu envers cette génération Y. Il veut simplement nous en montrer les travers et lever les masques. Un vrai film sociologique, où Gondry aura su puiser le meilleur de la fiction et du documentaire pour nous livrer sa vision d’une génération en perte de repère.

Une telle démarche ne va pas sans rappeler celle de Sofia Coppola dans The Bling Ring, qui nous confronte à cette jeunesse en quête de reconnaissance coûte que coûte, et qui dans le fond, ne sais pas où elle va.
Flavien_Fernand
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes A huis clos, c'est plus beau et Vus en 2013 #Parcequejaimecompter

Créée

le 3 juil. 2013

Critique lue 974 fois

18 j'aime

1 commentaire

Flavien  .

Écrit par

Critique lue 974 fois

18
1

D'autres avis sur The We and the I

The We and the I
Gand-Alf
8

Bus stop.

Ayant tâté du blockbuster hollywoodien avec le sympathique "Green Hornet", Michel Gondry revient à un cinéma plus simple, plus spontané, dans la droite lignée de "Block Party" et de "Be kind rewind",...

le 3 févr. 2013

21 j'aime

The We and the I
Flavien_Fernand
8

Michel Gondry apporte un objet documentaire sans oublier de faire son cinéma

Nous nous confrontons ici à un objet filmique intéressant et relativement inédit. D’une part, Gondry arbore une démarche documentaire en utilisant les outils du genre. Sa démarche a consisté à mettre...

le 3 juil. 2013

18 j'aime

1

The We and the I
Fry3000
3

Critique de The We and the I par Wykydtron IV

Je ne savais pas que Gondry avait fait un nouveau film, mais forcément, dès que j'ai vu le nom du réalisateur, j'ai été intéressé. Ca arrive souvent, à Cannes, c'est assez cool. Enfin quelqu'un qui...

le 20 mai 2012

13 j'aime

29

Du même critique

Stoker
Flavien_Fernand
8

Un hommage magistral à Alfred Hitchcock

L'accroche peut paraître banale tant Alfred Hitchcock est cité à tort et à travers depuis ces dernières années. En dehors de tout effet de mode, ce film rend un brillant clin d'oeil au maître du...

le 30 mai 2013

18 j'aime

Pulsions
Flavien_Fernand
7

Brian De Palma, ce Maniériste

Brian de Palma reprend des codes dont il s'inspire ouvertement pour se les approprier et donner naissance à des scènes avec un style en propre. C'est en cela que l'œuvre de De Palma est une pièce...

le 10 juin 2013

17 j'aime

La Belle et la Bête
Flavien_Fernand
4

Un remake qui souffre la comparaison

La Belle et la Bête est une fois de plus revisité dans une version haute en couleur. Effectivement, sur un plan esthétique, ce dernier film est amplement réussi. Des décors inédits, variant du...

le 17 févr. 2014

6 j'aime

4