C’est en tant que consœur que je vais parler : de sorcière !!!
En 1630 en Nouvelle-Angleterre, William est un homme tellement croyant que les autorités religieuses de son village l’accusent du péché d’orgueil. Lui, sa femme et leurs 5 enfants sont bannis de leur communauté protestante calviniste. La famille puritaine haut niveau va donc s’installer dans une ferme créée de leurs mains à l’orée de la forêt. Lorsque leur bébé disparaît mystérieusement, la foi ne suffit plus à leur cohésion.
The Witch est vendu depuis plusieurs mois – il est sorti cet hiver aux USA – comme un film d’horreur mystérieux, doté d’une forte rigueur historique. Rigueur, il y a. Historique, bel effort, mais le jeune réalisateur Robert Eggers choisit en réalité de prolonger les clichés en vigueur. La famille sur qui il pose son histoire ne s’autorise pratiquement pas de distraction, de plaisirs. La piété est leur seul fil rouge. La peur aussi. Il y a quelque chose de pourri au royaume du Danemark (Ah Hamlet ! Je ne m’en lasse pas !)
Je vais présenter les personnages : William, le patriarche de droit divin et Katerine, la maman qui n’aime pas tous ses enfants de la même manière ; interprétés par Ralph Ineson et Kate Dickie qu’on a pu voir en personnages secondaires de Game of thrones, ainsi que dans Sauvages où Kate Dickie était déjà pas mal atteinte… Les enfants : Thomasin (Anya Taylor-Joy, promise à un sympathique début de carrière), la fille aînée qui éclot dans la puberté, Caleb son frère cadet qui glisse un œil dans le corsage de sa sœur – ambiance – Mercy et Jonas, le couple de jumeaux et Samuel, le baby.
Alors le baby justement, eh bien il disparaît. Tu le vois, tu le vois ? Eh bah tu le vois plus ! Pourtant sous la garde de sa sœur Thomasin, le jeune Samuel est introuvable. Un loup ? Aucune trace.
Insouciants, les enfants jouent tous ensemble près de la rivière et finissent par se chamailler. Pour se débarrasser des plus jeunes, Thomasin les effraie en se prétendant sorcière croqueuse d’enfants, avec moult détails folkloriques qui ne sont pas sans rappeler les délires prêtés aux accusées de Salem 60 ans plus tard…
On aurait pu croire assister à un truc twisté comme Le Village de Night Shyamalan mais le cadre est posé. Dans une brume qui montre un peu plus l’isolement de cette famille guidée par un homme qui ne sait pas cultiver, ne sait pas chasser - il coupe obsessionnellement du bois – mais qui est persuadé que s’il prie Dieu assez fort en étant suffisamment maso, tout lui tombera du ciel Pouf ! Toute la famille vit dans cette peur de la foudre divine alors quand le marmot disparaît : Amstramgram qui qui qu’on va accuser, tiens ? Bourre et bourre et ratatam ce sera toi, l’ado en fleur. On est dans une ambiance austère, dans un huis-clos avec un travail fou sur euh… eh bien les nuances de gris, de vert-de-gris, de marron, de vert-de-vessie (c’est une véritable couleur, vérifiez !), le tout à la bougie mais comme ce sont des bigots, y a pas Barry Lindon qui joue aux cartes à la chandelle. Kamoulox ! Y a Christopher Lee et Nicolas Cage en opposition qui se battent pour une perruque dans The Wicker man.
Où j’en étais ? Ah oui : folie, mensonge, hypocrisie, ambiance incestueuse, infanticide, bienvenue ! Justement, qu’est-ce qui s’invite si tôt dans le récit ? La vision d’une femme tapie dans une grotte végétale, qui moud un bébé dans un mortier comme je fais avec le citron vert quand je me fais un virgin mojito. Sauf que moi contrairement à la sorcière (oui parce que c’est elle, hein), je ne m’en barbouille pas le corps en une pommade au lardon. Certains spectateurs n’apprécient pas l’intrusion du fantastique si prématuré, si explicite. Et pourtant, cela indique clairement que ce qui se joue à la fermette est voué à l’inéluctable. Ils auront beau se débattre…
On n’échappe pas à une sorcière. Elle s’insinue dans les esprits qui possèdent déjà des lézardes qui ne demandent qu’à courir un peu plus. Le film est très réussi sur ce point. L’austérité rend l’hystérie de chacun palpable, qu’on soit crédule ou pas. Hallucinations ? Réelles infestations et possessions ? Il n’y a pas une grosse musique à la Rob Zombie dans Lords of Salem, on part d’un naturalisme pour entrer dans un fantastique dont on ne ressortira plus. Et puis quel soulagement de pouvoir assister à ce genre de films sans avoir la sorcière de Black Hills en shaky cam-contreplongée-éclairage lampe de poche. Marre du found-footage ! Même si c’est bien au Projet Blair Witch qu’il faut apparenter The Witch. Économie de moyen, on ne verse pas dans de l’épouvante splatter-movie (même si j’aurais été cliente). La fin me ferait même penser à la vision goyesque du Dernier Exorcisme, sorti en 2010.
Je résumerai ça en : film marginal. Le parti pris est intéressant. Y a des trucs casse-gueules, ne serait-ce que dans la symbolique grossière. Mais Salem, ce sont des images de femmes dansant et baisant avec un grand bouc noir, maculant leur corps nu de sang mêlé de plantes magiques avant de s’envoler sur leur balai au clair de lune. Parfois le cliché est nécessaire.