Analyse : Le péché sera sa libération

A ne pas lire avant d'avoir vu le film


On est ici sur une oeuvre qui place le rapport aux croyances et à la religion au centre de son propos. On pourrait croire au début à l'histoire d'une jeune fille très dévote qui sombre progressivement dans le péché, et qui semble comme habitée par le mal lui même ; mais en fait, le fond est tout autre. Le réalisateur semble vouloir poser la question suivante : comment le personnage central du film va-t-il réussir à se libérer, à la fois de son éducation, mais aussi assumer véritablement qui elle est ?


Si on reprend les choses de manière chronologique : Thelma est une personne qui durant sa jeunesse a connu un enseignement chrétien très attaché aux traditions. Ses parents sont des personnes très protectrices, très attachés à elle. Elle est en quelque sorte lâchée dans la nature et même si cela ne lui pose pas de problèmes, elle semble confiante même si elle reste majoritairement silencieuse. Thelma doit néanmoins téléphoner à ses parents tous les soirs, et alors commence un déluge de questions "qu'est ce que tu as fait aujourd'hui ?" "qu'est ce que tu mange ?" "Est-ce que tu as des amis ?" Ce sont clairement ici des parents sur-protecteurs, qui empêchent la jeune fille d'être indépendante, de se libérer. Son éducation religieuse est imposée, elle n'a pas eu le choix, et cette éducation était assez brutale : Thelma raconte dans une scène comment son père lui approchait la main au plus près de la flamme d'une bougie pour faire naître une peur de l'Enfer.


Mais malgré ça, Thelma va pécher continuellement, on la voit boire, fumer, jurer sans que cela ne semble lui poser plus de problème que ça. C'est qu'en fait elle essaye de se défaire de son éducation chrétienne trop marquée ; tout en faisant croire que tout va bien auprès de ses parents. Il y a assez tôt dans le film le symbole du serpent, qui s'infiltre chez la jeune fille. C'est bien sûr le symbole de la tentation du péché. Sauf que pour elle, le péché ne sera pas une condamnation, mais une libération. Le motif du serpent reviendra plus tard, de même que celui des corbeaux. Les corbeaux symbolisent peut être son enfermement, son incapacité à progresser, d'où le fait qu'ils s'écrasent contre des vitres. Tout va basculer lors de sa rencontre avec Anja, qui sera en quelque sorte le péché ultime. Elle n'osera jamais avouer à ses parents sa liaison avec elle, car elle représente d'une part, son seul véritable gros péché, et d'autre part, un idéal de femme libre, jeune, qui vit sa vie sans se soucier d'un quelconque Dieu ou d'une fatalité. Il sera donc interessant d'analyser plus en détails la scène dans laquelle le serpent entre dans la bouche de Thelma. Cette scène est non seulement imaginée par l'héroïne, mais aussi strictement symbolique. En effet, elle tente de se libérer et d'accepter le péché, symbolisé par le serpent, qui cherche à faire partie d'elle. Après ça, elle vomit, elle rejette le péché. Son éducation l'empêche encore d'être libre, et ce vomissement représente quelque chose d'enfoui en elle (ici, son désir de libération, et d'Anja au passage) qui a besoin de s'exprimer, de sortir, car il lui pèse.


C'est ainsi que surviennent les crises de Thelma, définie par la doctoresse du film comme des crises psychogènes non-épileptiques. Elle explique que ces crises sont d'ordre purement psychologique, l'expression d'envies, d'idées enfouies et cachées qui ont besoin de s'exprimer. On rejoint ici l'idée précédente. C'est d'autant plus interessant qu'avec ces crises, surviennent des dysfonctionnement de la lumière, des flashs (la scène à l'hôpital où le médecin tente de provoquer volontairement une crise à l'aide d'une lumière blanche très forte qui s'allume et s'éteint vivement est le meilleur exemple). La lumière représente Dieu, et ici, un Dieu défaillant, qui au lieu d'aider Thelma ne fait que l'enfermer davantage. D'ailleurs, le plan d'apparition du titre est en flashs qui dévoilent progressivement son nom. Elle ne cherche sans doute pas à se "débarrasser de Dieu", elle reste croyante, mais elle cherche plus de liberté, la fin des contraintes et la possibilité pour elle d'être ce qu'elle est, et d'aimer Anja. Peut être qu'à travers ce film, Joachim Trier dénonce l’intolérance des familles religieuses et de l'Eglise envers les homosexuels ou bien de manière plus générale, les contraintes et l'impossibilité d'être totalement libre de ses actions et des ses pensées en étant croyant (toute religion confondue).


Toujours est-il que Thelma va donc chercher à se libérer grâce au péché, qui n'a donc pas une valeur négative dans ce film. Il y a aussi un détail interessant à remarquer : son crucifix. Ce pendentif n'est pas toujours à son cou, parfois il l'est, quand elle parle avec ses parents ou quand elle est seule notamment, mais le plus souvent, quand elle est avec ses amis, elle ne le porte pas. Plus encore, la plupart du temps, quand elle le porte, on le voit flou. Dans son esthétique globale, le film a souvent des arrières plans flous, la focale est constamment sur les visages, c'est d'autant plus frappant avec Thelma, quasiment chaque plan où elle est seule est complètement flou partout sauf sur son visage. Il y a une scène précise où le pendentif n'est pas flou, c'est quand elle chante des chants religieux avec une chorale. Suivre les moments où elle porte ou ne porte pas le crucifix peut donc éclairer sur son état d'esprit.


Cela étant dit, il sied de s'attaquer maintenant aux capacités de Thelma, élément central dans l'intrigue. Elle a la capacité de faire disparaître des personnes qu'elle ne désire plus voir. La nature et les origines de ces pouvoirs sont très flous, on sait à peine de quoi elle est capable et pourquoi. On peut penser à une punition divine au premier abord, mais pas du tout. On sait qu'elle a fait disparaître son petit frère quand elle était enfant, mais elle n'en avait aucun souvenirs ; c'est après ça que ses parents lui ont donné cette éducation religieuse qui lui a permis de s'arrêter. Il faut d'ailleurs se rappeler de la toute première scène du film, le père est avec Thelma enfant dans la forêt, il chasse, pointe son fusil sur une biche, puis semble hésite pendant plusieurs longues secondes à tirer sur sa fille. Symboliquement, il la tue dans le sens où à partir de ce moment là, il va l'enfermer et restreindre toute forme de liberté. Mais alors donc, que signifient ces pouvoirs ? Peut être le symbole de son inadéquation au monde. Elle est légèrement différente de la norme (on peut prendre n'importe quelle particularité possible) ce qui ne plaît pas à ses parents, qui vont faire en sorte de ne pas se retrouver avec un "monstre" comme enfant, et par conséquent, elle ne peux pas exprimer pleinement la personne qu'elle est, ce qui crée une profonde frustration intérieure, qui s'extériorise et explose.


La fin du film est intéressante à expliquer. Thelma a donc fait disparaître Anja (symboliquement, elle s'est forcée à la faire disparaître de sa vie car son éducation lui interdit de la fréquenter, elle fait naître en elle des désirs qu'elle est obligée de refréner) et rentre chez ses parents. Il y alors la scène du lac : elle plonge dans le lac, nage jusqu'au fond, quand elle sort de l'eau, elle se retrouve dans la piscine où elle a parlé pour la première fois à Anja, elle la retrouve ici, puis ressort de l'eau, au bord du lac, où elle crache un corbeau mort. Il y a un écho entre cette scène et une scène plus tôt dans le film, dans laquelle elle plonge dans la piscine, s'engouffre et n'arrive plus à faire surface, il y a une paroi, un mur qui la bloque. C'est la même idée qu'avec les corbeaux dans les vitres, elle est enfermée, cherche à se libérer mais ne le peux pas. Dans la piscine comme dans le lac, quand elle plonge, elle s'engouffre dans les ténèbres, il fait très sombre. Les ténèbres, c'est le mal, le péché, or pour Thelma, le péché c'est la délivrance. Son passage dans le lac, c'est sa libération, elle se libère de ses parents. Car au final, la religion lui impose des contraintes et l'empêche d'être elle même, mais c'est ses parents qui lui ont imposé cette religion. Elle doit donc se défaire des ses parents. Son père, au milieu du lac sur sa barque prend feu, un feu impossible à éteindre. Ce feu rappelle la bougie qu'il a utilisé pour créer chez Thelma la peur de l'Enfer. Les flammes de l'Enfer consument ce père, qui a commis le crime de priver sa fille de liberté. Libérée du joug de son père, Thelma crache un corbeau mort, le corbeau a traversé la vitre, son enfermement n'est plus. Ensuite, elle semble accomplir un miracle. Sa mère se lève de son fauteuil roulant après qu'elle l'ait touchée. On a peu d'informations sur les parents de Thelma, mais en y réfléchissant, si sa mère est en fauteuil roulant, c'est par ce qu'elle a tenté de se suicider. Or le suicide est interdit pour les chrétiens. Donc sa mère n'est peut être pas croyante, et elle était elle aussi enfermée, ici dans un fauteuil roulant. Thelma l'a libéré. Une autre interprétation serait que la jeune fille, entièrement libre maintenant, réalise un miracle comme preuve que de grandes choses ne peuvent s'accomplir et de grandes personnes ne peuvent naître que si elles sont libres et jamais contraintes. Thelma sort de la maison, le soleil brille, sa traversée des ténèbres l'amène à découvrir la véritable lumière de la liberté et de l'acceptation de soi, en opposition à la lumière artificielle défaillante des contraintes.


Les dernières images du film sont celles d'une Thelma heureuse en couple avec Anja, libre d'être ce qu'elle est. En conclusion, le film raconte l'histoire d'une personne qui, à cause de ses différences, à été forcée à entrer dans des cases, à se conformer, et à refuser tout ce qui fait d'elle une personne unique. Tout cela a provoqué en elle une frustration qui s'est extériorisé par toutes sortes de manières, et son seul moyen de se libérer et de s'accepter sera de défier et de se rebeller contre toutes les choses qui ont entravé sa vie et sa pensée : la foi, en choisissant la voie du péché, mais aussi et surtout ses parents, en se libérant totalement d'eux et partir du domicile familial sans se retourner.


Avis bref : Un film très bien réalisé mais qui parfois souffre un peu de longueurs. Plusieurs scènes sont vraiment lourdes et le film donne très peu de clés, interpréter correctement le film nécessite beaucoup de recul. Autrement, c'est un film assez sensoriel, avec beaucoup de passages qui agressent véritablement l’œil, et des sons très brutaux et vifs. Typiquement le genre de passage qui ne plait pas à tout le monde. Les prestations d'acteurs sont vraiment bonnes, pour les deux personnages principaux, toujours dans la justesse des émotions, Thelma qui tourne de nombreuses scènes graves ou difficiles pour son personnage, et en face Anja qui parvient à être comme un rayon de soleil dans sa vie.

Créée

le 6 déc. 2017

Critique lue 6.6K fois

5 j'aime

Dysentra  Red

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