Thelma et Louise est évidemment LE grand film féministe par excellence. Alors oui, le film traite de façon admirable énormément de sujets propres à cette lutte : la domination masculine, le consentement, la sororité (plus que l'amitié féminine), la police, j'en passe et des meilleures.

Mais commençons quand même par ce qui fait un grand film. Les actrices déjà, Susan Sarandon (Louise) comme à son habitude et Geena Davis (Thelma) qui éclot véritablement dans la dernière partie du film, sont parfaites et se complètent bien : grossièrement, Louise la rationnelle et control freak et Thelma l'impulsive bordélique, différence que l'on voit dès leur scène de préparation au voyage. De solides acteurs pour les seconds rôles aussi (Harvey Keitel, Michael Madsen et un tout jeune Brad Pitt). Une mise en scène flamboyante, tant dans les plans de cette Ford décapotable traversant les vastes plaines désertiques que les quelques scènes d'explosion et d'accidents. Une esthétique impeccable, tous les attendus des années 1980 y passent, entre voitures, coiffures, habits farfelus et motels plus ou moins miteux. Mais ça, on pouvait le deviner dès la scène d'introduction, avec ce sublime plan de paysage américain que l'on retrouvera à la fin, sur une mélodie des années 1980 crépusculaire d'Hans Zimmer. Enfin, ce n'est pas qu'un film sur le féminisme, et heureusement, l'histoire brassant d'innombrables thèmes et genres : road movie, western, film d'amitié, film policier, film d'action et d'aventure, ressorts comiques (claquez le mari de Thelma svp), drame social, scènes contemplatives… C'est un film véritablement dense, et intelligent.

Parlons quand même de l'unique gros défaut : le scénario, dans le ventre mou du film. Alors que l'histoire commence de façon extrêmement prometteuse et qu'il finit sans doute de la meilleure des manières, il y a un gros passage à vide au milieu, lorsque Thelma multiplie les bourdes grotesques, non pas parce qu'elle est idiote, mais parce qu'il faut faire avancer l'intrigue. Même si ce moment est délicat, il faut arriver à passer outre. L'évolution des personnages est remarquable, sans doute un peu longue pour Thelma : de ménagères coincées dans leur vie, elles deviennent totalement bad ass tout en restant fidèles à elles-mêmes. En outre, il est facile de remarquer toutes les perles du film, et notamment les jeux d'inversion de rôles entre femmes et hommes : le meurtre du début (statistiquement, c'est plutôt les femmes qui trinquent), Brad Pitt l'homme fatal torse nu la moitié de son temps d'écran, les femmes qui gardent leur sang froid quand un policier se met à chialer comme un bébé… Pourtant, ce n'est pas qu'un pur retournement de situation. Le même film avec deux hommes n'aurait probablement pas été possible, pour la simple et bonne raison qu'ils auraient fini par se trahir. Entre elles, et malgré des soubresauts dans leur relation d'amitié, et il n'a jamais été question de trahison. Je préfère parler de sororité, plutôt que d'amitié, car ce qui les lie dépasse une simple relation de sympathie et mêle un destin commun aux femmes, celui d'être oppressées par les hommes.

C'est d'ailleurs pour ça que, encore davantage qu'un film sur le féminisme, Thelma et Louise ne fait que parler de liberté. Dans cette fuite en avant constante, poussées à bout, elles ne deviennent pas pour autant des criminels comme les autres, mais sans doute se révèlent-elles à elles-mêmes. Cette aspiration à la liberté parcourt tout le film : dès le début, lorsqu'il s'agit de partir en week-end malgré les carcans familiaux et sociaux, quand elles refusent d'aller voir la police, dans leur recherche désespérée d'argent, puis quand elles traversent ces paysages quasi irréels dont elles semblaient ne pas même soupçonner l'existence et auxquels elles se connectent intimement. Leur décision finale, certes tragique, est une ultime explosion de liberté : plutôt que de se soustraire à la justice des hommes, et même si certains sont parfaitement bien intentionnés, il fallait encore être maîtresse de son propre destin.

Samji
9
Écrit par

Créée

le 16 mars 2025

Critique lue 7 fois

1 j'aime

Samji

Écrit par

Critique lue 7 fois

1

D'autres avis sur Thelma et Louise

Thelma et Louise
Gand-Alf
9

Deux rouquines en cavale.

Alors qu'il peine à s'extraire du carcan du cinéma de genre à qui il a donné certains de ses plus beaux représentants ("Alien", "Blade Runner", "Legend"...), le cinéaste Ridley Scott va enfin...

le 5 juil. 2014

78 j'aime

7

Thelma et Louise
Sergent_Pepper
5

Chicks and run

Il en va du vieillissement des œuvres comme de celui des personnes : la question n’est pas tant de savoir si l’on vieillit bien ou pas, mais plutôt d’accepter l’idée que l’âge accroît la les défauts...

le 5 févr. 2019

76 j'aime

17

Du même critique

Le mal n'existe pas
Samji
5

Dersou Ouzala chez les cinglés

J'étais enthousiaste à l'idée d'aller voir Le mal n'existe pas : un film japonais, contemplatif et esthétique, un conte écologique, le tout par Ryusuke Hamaguchi, le réalisateur de Drive my car, un...

le 13 avr. 2024

40 j'aime

5

Look Back
Samji
5

Manga girl

Look Back est un objet curieux. Tiré d'un manga de l'auteur à succès de Chainsaw Man, manga hyper connu et gore à souhait, il dépeint ici l'apprentissage du manga par deux adolescentes qui vont...

le 29 sept. 2024

12 j'aime

J'ai perdu mon corps
Samji
4

Passez votre che-main

J'ai perdu mon corps est le film typique d'une fausse poésie. En enlevant la seule originalité du film, qui consiste dans les pérégrinations d'une main coupée à Paris pour retrouver son propriétaire,...

le 20 févr. 2023

10 j'aime