Je ne suis pas du genre à percevoir de manière évidente les qualités d'un film, ses choix de cadrage, etc. J'ai donc du mal à offrir une critique à la hauteur, sauf si j'ai vu le film de nombreuses fois, ou encore si j'ai lu beaucoup de commentaires qui éclairent mon propre ressenti. Je regarde sans vraiment analyser, et si je perçois trop les rouages de la réalisation, c'est généralement parce que c'est mauvais ou grossier. Mais je pense avoir du flair, une solide intuition (bon, je peux me tromper), tout en étant capable de sentir quand je fais face à un faux grand film (du genre The Revenant).
There will be blood a été ma plus grande expérience cinématographique, de son début muet et intrigant, à sa montée ténébreuse vers l'aliénation, à travers son sens pictural saisissant (la main noire, le puits en feu, et tant d'autres... ) et typiquement américain, son art de l'économie, ses musiques singulières, ce combat pour le pouvoir entre un propriétaire terrien avide et un charlatan spirituel qui vire au mimétisme le plus primaire (les scènes des claques !).
Comme pour Apocalypse Now Redux et Citizen Kane, j'ai su en le voyant que ce film appartenait à une caste très rare, où l'art formel le plus approprié se joint à un propos noir et fascinant sur la nature des hommes de pouvoir, la fascination qu'ils exercent, l'isolement qui les attend et la folie qui les guette. La violence surtout, sauvage, barbare, qui grouille en eux, monte jusqu'à écraser leurs sentiments plus sains.
Je pense que Pierce Brosnan aurait été meilleur dans le rôle de Plainview. Daniel Day Lewis m'a toujours semblé trop intense dans ses compositions, trop plein de son personnage, même si là je chipote un peu. Pour rire, le réalisateur de Entretien avec un Vampire avait dit ne pas avoir choisi Daniel Day Lewis de peur qu'il passe six mois enfermé dans un cercueil pour parfaire son rôle, et c'est vrai qu'il y a un peu de cela chez lui, ce qui le rend formidable dans Gangs of New-York d'ailleurs.
There will be blood fait partie de ces films que je ne regarde presque jamais (lui je ne l'ai vu que deux fois en dix ans), parce qu'il trace son chemin doucement en moi sans que j'ai besoin du support d'un autre visionnage. C'est peut-être aussi parce que je crains de l'abîmer ; à trop pratiquer une oeuvre, on la comprend mieux certes, mais elle nous transporte moins.