Tigre blanc
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Tigre blanc

Film de Yuen Woo-Ping (1981)

Tigre Blanc, redécouverte d'une perle noire

Après l'engouement des 70's pour le film de "karaté" (oui, baston asiatique = "film de karaté", peu importe que ce soit du kung fu ou un wu xia pian à cette époque, comme le prouvent des titres comme Karaté à mort pour une poignée de Soja) où les bandes s'achetaient au kilomètre, avec des doublages plus que limite, des traductions de titres esquivant avec brio le bon goût comme une maladie vénérienne (Ca Branle dans les Bambous n'est pas un pornard, mais un film de kung fu, plutôt bon, qui plus est), bref, cette époque que je n'ai pas connu au cinéma, j'ai eu la chance de la vivre par procuration en collectionnant des VHS, frénétiquement, au jugé, à la pochette, au titre, en tombant parfois sur des perles (La Rage Du Tigre, découvert littéralement par erreur et adoré immédiatement), même si souvent, le film valait à peine les 2 francs de la VHS... C'était le jeu, et tomber sur une perle faisait oublier les 20 films mous du genou subit entre temps.
Mais si tout le monde s'accordaient à dire qu'on ne risquait pas grande déception en allant vers la Shaw Brothers, par exemple, si l'on savait où l'on mettait les pieds en voyant Jackie Chan ou Samo Hung à l'affiche (même si pour Jackie Chan, disons que j'avais quelques réserves...), les autres boites, même la prestigieuse Golden Harvest, souffraient de l'ombre du géant et se retrouvaient souvent englouties dans le marasme informe desdites bandes au KM, étouffant au passage des talents comme Joseph Kuo qui, rarement auteur de chef d'oeuvres, avait le mérite d'offrir de vrais films bien loin des bousins aux cotés desquels il se retrouvait rangé.


Il faudra attendre un second souffle au courant des années 90, période bénie où ceux qui avaient écrémé les époques susmentionnées avaient appris à discerner le grain de l'ivraie. Et, pour faire court, apparut de (presque) nulle part la désormais (plus ou moins) célèbre et prestigieuse HK Collection. A la base un magasine (de courte durée de vie, malheureusement) accompagné d'une VHS, on y trouvait des articles sur King Hu, Tsui Hark, sur les chorégraphes et les artistes martiaux, sur les qualités de réalisateur de Sammo Hung, on parlait de Jimmy Wang Yu et ses relations troubles avec les Triades, on nous offrait en cadeau autant le très sérieux Maître de Guerre de Wang Yu que le sublimement absurde Opération Scorpio (avec en son sein le maître parmi les maîtres, Liu Chia Liang, chorégraphe de génie derrière les plus beaux combats de la Shaw, qui a su prouver ses talents de réalisateurs après être resté trop longtemps dans l'ombre de l'Ogre Chang Cheh). On ne se foutait pas de la gueule du lecteur cinéphile avide de baston made in HK, on lui donnait de vrais perles devenues rares à découvrir!
Et en parallèle, la collection HK sortait des films dans le commerce indépendamment du magasine, comme le magnifique Green Snake de Tsui Hark, ou son Histoires de Cannibales, mêlant horreur claustrophobique à la Antropophagous, humour très sombre et combats magnifiquement rythmés, on pouvait revoir l'Enfer des Armes (sorti à la base, comme Le Maitre d'Armes, chez René Chateau Vidéos), on découvrait le Syndicat du Crime II et The Killer de John Woo, on pouvait se délecter de la scène des échelles dans Il était une fois En Chine... ce qui fit résonner un nom que les Anciens connaissaient déjà : Yuen Woo Ping.
L'auteur derrière deux des premiers films de Jackie Chan, dansant entre humour gras et violence extrême (le célèbre Drunken Master, auquel je préfère son prédécesseur, l'incontournable Snake in the Eagle Shadow, plus cru, plus sombre, plus tragique) n'a jamais chômé, simplement, en France, la mode était passée momentanément et seuls les initiés savaient où trouver ces films, parfois sans doublage, sans sous titres (ou des versions anglaises approximatives en VCD), dans des versions souvent recadrées, avec 3 lignes de sous titres qui recouvraient l'écran.
Bref, le clan Yuen revient sur le devant de la scène de par chez nous (un retour qui sera salué avec déférence lorsque le succès d'un certain Matrix viendra rappeler qui est le boss des chorégraphies surréalistes, et lorsque la poésie de Tigre et Dragon touchera le grand public).


Et la collection HK nous offre ses films en masters numériques (peut-être trop "flashy", en y repensant, nous ayant peut-être faussé le regard sur les intentions initiales de certains auteurs...). Et non contents de nous pousser à admirer son sens du baroque contemporain, ils rééditent aussi ses premiers films (ainsi que les rarissimes premiers films de John Woo, pur kung fu/wuxia pian, avant qu'il ne troque les poings et les sabres pour des gros flingues), donc, en choisissant de préférence des perles, quels que soient les auteurs concernés (fort heureusement, car il y a à boire et à manger chez un défonceur de pellicule comme Yuen Woo Ping).


C'est donc à cette époque qu'arrivent quasi simultanément entre mes mains les premiers films de Samo Hung, rangé sous l'étiquette "comedy kung fu", mais tellement sombres, parfois sordides, d'une violence et d'une rage troublante, rythmés avec brio... Et ce fameux Tigre Blanc, qui restera pour moi l'un des meilleurs films de Yuen Woo Ping.


Après une introduction cruelle, violente, brutale où la famille d'un artiste martial se fait massacrer sous ses yeux (bon, il leur rend bien, mais d'entrée de jeu, ça calme) le faisant basculer dans la folie furieuse (au sens stict), on glisse sans crier gare, comme on le fait si bien à Hong Kong, vers un ton léger, du comique slapstick, un jeu emphatique et théâtral.
Et déjà là, tout est dit.
L'antagoniste est iconisé d'office, on connait sa force, on sait qu'il est devenu fou, mu par une rage sans appel, et que cette tornade de brutalité sans fard (...) va nécessairement débarquer dans l'univers insouciant dans lequel évolue Yuen Biao, qui incarne un élève du grand Wong Fei Hong, maître de kung fu, médecin, spécialiste de la danse du lion, ayant existé dans la vraie vie, avant d'être immortalisé en tant que figure récurrente des films de kung fu depuis les débuts du cinéma, à travers des films s'inspirant très librement de sa vie.
Ici, c'est son représentant historique, peu connu chez nous, Tak Hing Kwan, mais qui a tenu pendant très longtemps ce rôle dans une série à succès en Chine, dès 1949 (soit une dans une centaine de films, en gros).
L'insouciance comico bastonesque ambiante cède doucement le pas à une intrigue policière, des meurtres d'une violence extrême ayant lieu en ville. Par jeux de malentendus, le grand méchant va faire une fixette sur le pauvre Yuen Biao, avec des conséquences plus sérieuses que ce que le ton ambiant pouvait laisser penser.


J'avais tendance à penser ces dernières années qu'il n'y avait qu'en Corée qu'on savait maîtriser le changement de genre et de ton avec autant de brio.
Quelle erreur, quel oubli honteux de ma part! J'avais oublié que la "comedy Kung Fu" le faisait déjà, depuis longtemps, et ce film en est une magistrale illustration, allant même effleurer du poing le cinéma fantastique par moment. Le rire ne vient pas casser la tension, la tension n'empêche pas le comique de faire effet, et les chorégraphie sont tout bonnement à couper le souffle.
Yuen Woo Ping a toujours eu cette relation "baroque" à la pratique cinématographique du kung fu, là où Liu Chia Liang souhaitait transmettre un message à travers ses chorégraphies, et Samo Hung privilégiait le rythme, le montage et la violence brute, pour ne citer que trois approches qui s'effleurent mutuellement tout en étant singulières et se complètent, au final.
Yuen Woo Ping le chorégraphe danse déjà dans les espaces clos, utilise les câbles si besoin, et approche le combat comme un spectacle huilé à la perfection, une sorte de Chaplin de la Péchoune. En tant que réalisateur, sous couvert de comédie, il se rapproche plus de son confrère Samo Hung, osant une noirceur audacieuse qui a de quoi perturber le spectateur habitué à compartimenter les genres.


Ce film est à mes yeux peut-être LA perle du réalisateur (ou en tout cas clairement dans son top 5, ce qui n'est déjà pas peu dire). Et je bénis mon grand âge qui m'aura permis de découvrir ces films pile au bon moment.


Cette critique débarque tardivement, et l'ami Drélium en a probablement déjà fait une, probablement moins dithyrambique, mais l'ayant revu il y a quelques jours, il fallait que ça sorte, comme on dit.


Et si dans la foulée, ça peut donner envie à certain de (re)découvrir ce film qui par bien des aspects tient du chef d'oeuvre, alors ma foi...

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le 9 mars 2022

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toma Uberwenig

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