GRAND 1 - de la revanche du grand Tsui !


En 1996, Tsui Hark s'envole pour Hollywood où Double Team, un Jean-Claude Van Damme, l'attend. Faire un Van Damme, c'est le sort des réalisateurs Hong-Kongais qui s'exilent, semble-t'il. Au bout de quelques semaines de tournage, les monteurs se plaignent : "ce que filme cet homme est trop expérimental, et immontable !" Hop, on lui coupe son budget en deux, on sucre des scènes et il doit par contrat finir le tournage.

Echaudé par l'expérience, il jure qu'on ne l'y reprendra pas. Mais dans ledit contrat, une clause stipule qu'en cas de succès il devra remettre le couvert... Et voilà que quelques mois plus tard Double Team se place en tête des locations et vente de VHS et Laserdisc... Merde.



Pour le deuxième opus, Knock Off, Tsui décide d'entourlouper gentiment la Columbia : "Ooh, vous savez j'ai une structure de production à Hong Kong, ça vous économiserait bien des pesos de me laisser filmer chez moi !" Et hop, profitant de l'avantage géographique, il va dépenser l'argent de la firme dans des plans encore plus expérimentaux et insensés, car il ne veut pas leur "donner" ses meilleures idées. Donc il fait des plans qui rentrent dans des chaussures, où des boutons de jeans, comme ça pour voir si ça marche... Pur foutage de gueule jouissif !



Et du coup, fort de ses expérimentations sur ce film-cinglé-de-malade, il va livrer SON film d'action ultime, et pour achever Columbia, il va les entuber profond avec le génial Black Mask 2.


GRAND 2 - du gonzo journalisme.



J'ai découvert Time and Tide en Avril 2001. Un obscur VCD avec trois lignes de sous-titres ( Chinois, Anglais, et Malaisien ) complètement fou. Sur la pochette le réalisateur s'appelle "Tsuo Hark", ça sent le frelaté underground, mais je ne résiste pas, je VEUX voir ce film. Deux heures plus tard, je suis soufflé, j'ai rien compris, je me le remate. Puis le lendemain matin au réveil. Ensuite, j'ai consommé le VCD sporadiquement, ne regardant que les scènes marquantes, les montrant à mes amis en annonçant : "t'as jamais vu ça d'ta vie !"



En juillet j'ai enfin compris le film car je l'ai vu en avant-première dans une petite salle Parisienne, le MacMahon. Salle comble, tellement comble qu'ils ont déprogrammé le film suivant pour rediffuser Time and Tide à une horde de fans impatients. Du coup j'ai pu expliquer le film à mes potes qui ne l'avaient pas bien compris.



Aout. J'achète le DVD zone 1 avec commentaire audio. Je me le fais évidemment encore trois ou quatre fois, et en Octobre, une autre avant-première, en présence du réalisateur : grand moment, je dévale les marches de la salle 6 de UGC les Halles pour faire signer le DVD au grand Tsui et lui serrer la main. J'ai pris trop d'élan et je me suis pété la gueule devant lui, et 400 spectateurs hébétés... Mais j'ai obtenu le DVD le plus précieux de ma collection.

Time and Tide signé par Tsui Hark !


GRAND 3 - de quoi ça parle ?


Puisque c'est un des griefs des détracteurs (beeuh on comprend rien !), je vais raconter le film.

Il s'ouvre sur une voix off qui fait un remake punk de la genèse, et un état d'esprit d'ores et déjà iconoclaste s'installe.



Nicholas Tse est un petit jeune typique : insouciant, turbulant, à moitié idiot... du coup un soir, il engrosse par mégarde une flic lesbienne (Cathy Tsui) et neuf mois plus tard il prend la décision de fuir.

Trouver vite de l'argent et se casser quelque part en Amérique du Sud, disons... Aracaju. Pour ça, il se fait embaucher dans une compagnie de surveillance rapprochée sans licence, dirigée par Anthony Wong.



Au même moment, à Aracaju, une bande de mercenaires survoltés dérobent une bonne masse de pognon lors d'un transfert de fonds, dans le but de s'installer à Hong-Kong.



Nicholas Tse fait la connaissance de Wu Bai, aimable boucher originaire de Taiwan, qui est le mari de Candy Lo. Tous trois se retrouvent à l'anniversaire du père de celle-ci, qui a fait appel à la boite d'Anthony Wong pour la sécurité de la fête. Suite à une tentative avortée d'assassinat sur la personne du papa, ils deviennent amis.



Mais Wu Bai cache bien son jeu : en fait il a jadis fait partie du groupe de mercenaires survoltés, mais il les a plaqués pour mener une vie paisible. Ceux-ci ne l'entendent pas de cette oreille et lui imposent de buter leur principal concurrent : le fameux papa de sa femme. Evidemment, il n'en est pas question, et il tue leur boss à la place avant de leur piquer tout leur pognon à ces bâtards ! Pile le jour où la boite d'Anthony Wong devait le protéger !



Accusé de complicité, Nicholas Tse décide de tirer tout ça au clair et va débusquer Wu Bai chez lui, armé de son faux flingue en plastique rafistolé, alors que sur place, la guerre est déclarée !



La deuxième heure du film est une suite ininterrompue de scènes d'action et de poursuite entre Wu Bai et les mercenaires survoltés. Il va s'arranger pour les éliminer les uns après les autres alors que Nicholas Tse, propulsé dans la tourmente, va subir une situation qui lui échappe totalement, mais en sortir grandi.



GRAND 4 - du meilleur film d'action de tous les temps.



En balançant Time and Tide, Tsui Hark ne livre pas vraiment son meilleur film ( je considère toujours que c'est Green Snake ) mais il démontre qu'il est le plus fort !



De ses élucubrations formelles complètement chtarbées de Knock Off, il va conserver la substantifique moelle et l'appliquer à des idées vraiment plus sympas ( disons que la caméra qui rentre dans une arme à feu, c'est bien plus bandant que dans une chaussure de contrefaçon ) et tout aussi expérimentales. En bon filmeur fou et généreux, il va mettre sa caméra n'importe où : dans les flingues, oui, mais aussi dans un sèche-linge, dans une explosion jusqu'à travers un frigo, et aussi la jeter par la fenêtre !



Refusant les conventions, il va passer la première moitié du film à démolir une tripotée de poncifs surannés. Par exemple, tout le monde à Hong-Kong ne fait pas de Kung-Fu, donc les bagarres au corps-à-corps ne ressemblent à rien d'autre...

Le héros est d'ailleurs un foutu pleutre complètement maladroit et empoté : a mille lieues du glamour post-Chow-Yun-Fat. ( cette idée avait déjà fait surface dans Knock Off quand Van Damme se fait fouetter les fesses à coups d'anguille. )

Et le stand-off où l'on parle des minutes entières, popularisé par John Woo, est mis à mal lors de la scène de braquage à Aracaju : "on est d'égal à égal !" dit l'un des deux... L'autre lui tire dessus immédiatement en vidant son chargeur et se fend d'un : "mon flingue y cause pas. Y tue !" avant de lui cracher dessus !



Mais Tsui Hark n'est pas qu'un cinéaste du refus : il va proposer des alternatives aux scènes iconiques qu'il vient de dégnaper. A la fin notamment, il a besoin que Wu Bai et Joventino Couto Remotigue s'adressent la parole alors qu'ils ont chacun un automatique à la main... Il ne peut plus nous la refaire à l'envers, alors voilà ce qui se passe : ils attrapent le bras de l'adversaire et le mettent derrière leur corps respectifs... Ainsi, pas moyen de se tirer dessus, et ils échangent quelques mots avant de reprendre leur affrontement Homérique !



Le cinéma Hong-Kongais faisant fréquemment la part belle aux stars de la pop, Tsui va concocter un casting aux petits oignons. Cinq des personnages principaux sont interprétés par des chanteurs et chanteuses, et quatre d'entre eux participent à la BO.

Jusque là habitué à des rôles de jolis rebelles sans saveur, Nicholas Tse trouve ici son premier rôle un peu profond. Par la suite, il se virilisera grâce à Donnie Yen ( dans Dragon Tiger Gate de Yip Wai-Shun ) mais dans Time and Tide, il donne à son personnage toute sa candeur et son incapacité à trouver ses marques dans un monde qui le dépasse.



Mais la vraie révélation du film, c'est Wu Bai. L'homme pour lequel le mot "Charisme" a été inventé.

Megastar internationale à Taiwan, ses participations au septième art se limitaient à des apparitions fugaces, et une dizaine de chansons. Ici, il est l'HOMME. Celui qui tue tout. Son personnage passe la deuxième partie du film à repousser les limites du possible, pour le plaisir des yeux : glissades, empoignades, acrobaties...



Anthony Wong quant à lui campe un gentil patriarche tout en retenue, ce qui détonne par rapport à ses performances nineties, notamment dans Heroic Trio.

Côté filles, rien à dire : Cathy Tsui et Candy Lo jouent la carte de l'émotivité distanciée, ce qui apporte un soupçon de véracité à ce film de fou.



Même si l'on comprend rien de rien au film, on est obligé d'être complètement happé par l'image.

La scène des HLM reste dans les mémoires à tout jamais. Le plan incroyable où Wu Bai échange des coups de feu avec Joventino Couto Remotigue alors qu'ils descendent en rappel et que la caméra les suit en chute libre torche un peu tout ce qui a pu être proposé en la matière par la suite. Et c'était y'a dix ans ! ( au moment où j'écris ces lignes... )



Et non content de ça, Tsui propose constamment des idées aussi alambiquées que jouissives. Par exemple, le moment où le dernier méchant meurt en tombant sur son flingue, ce qui déclenche la détente et le repropulse en arrière, est à la fois complètement inédit, et vient à point pour dissiper la tension de la scène de l'affrontement final.



Et quand en plus, au prix de multiples visions, on comprend tout ce que ça dit, on est obligé de le propulser au rang de meilleur film des années 2000.



GRAND 5 - du discours et du propos.


Tsui Hark a un jour déclaré : "Tant qu'on est le reflet de son époque, personne ne peut vous mettre dans un moule."



On trouve dans Time and Tide une description de la jeunesse Hong-Kongaise typique des années 90, qu'on retrouve au préalable chez Wong Kar-Wai ( dans son diptyque Cheungking Express & Fallen Angels ) et chez Yip Wai-Shun ( encore lui ? - dans Bullets Over Summer ) : insouciante, désabusée, anarchique...




Sauf que, sans les glorifier artificiellement, façon Young and Dangerous, il va les faire grandir en les plongeant dans la merde ! Comme s'il prenait à l'avance le contrepied total de Spider-Man : ce n'est pas quand on a de grands pouvoirs qu'on a de grandes responsabilités, mais dans le tumulte. On fait des conneries et on doit les assumer.

Un côté Super-Héros est entériné lors de la scène des HLMs, où Wu Bai ridiculise ses adversaires en virevoltant d'étages en étages, mais le cœur du film, du moins ce qu'en retiennent les protagonistes, c'est qu'au delà de l'incompréhension et l'incommunicabilité homme-femme décrite dans le discours d'ouverture, il y a moyen se confronter à ses responsabilités.
Tous deux sont pères-en-devenir, et Wu Bai doit se débarrasser de son passé par la violence pour devenir l'homme qu'il veut être tandis que Nicholas Tse va le découvrir à la dure !



GRAND 6 - des mots de la fin.



Finalement, Time and Tide est un film unique : il a certes marqué les esprits de la plupart des gens qui l'ont vu, mais il n'a pas été suivi, formellement. Peut-être est-il trop fou, trop expérimental... Le cinéma de genre des années 2000 a exploré une autre voie, carrément moche, celle d'une simulation incessante de mise-en-danger de la caméra ( façon Die Hard 3 mais en raté ) dont le paroxysme est cette saloperie de Bourne 2 ( La Mort dans la Peau ) alors que Time and Tide posait les jalons d'un renouveau complètement frais et surexploitable à fond !




Ceux qui rejettent le film le font le plus souvent sur la base du fait qu'ils n'y ont rien compris. Moi à première vue ça m'a pas dérangé outre mesure d'être complètement largué ( je savais que le VCD était en grande partie à blâmer ) mais s'il y a parmi vous des réfractaires à ce chef d'œuvre du cinéma moderne, revoyez-le après lecture de cet article, ça ne le rendra que plus utile !

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le 1 oct. 2011

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Mike Öpuvty

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