Quand Woody commence à tourner en rond
« Match Point » a été un tournant dans l’œuvre de Woody. Bien sûr, c’était la première fois qu’il quittait New York mais, surtout, c’était la première fois qu’il tournait un film radicalement différent de ce qu’il était habitué à faire depuis des décennies. « Match Point » est sombre, désespéré, injuste. Woody se dévoilait sous un autre jour, et n’avait alors jamais semblé aussi près de ce « grand film » qu’il espère un jour réaliser.
Woody est resté à Londres pour y tourner dans la foulée « Scoop » et « Le rêve de Cassandre ». Moins bons que « Match Point », ces films avaient d’intéressant qu’ils racontaient une histoire qui sortait de l’univers de Woody (la recherche d’un serial killer pour l’un, deux frères chargés de tuer un homme pour l’autre).
Et puis le tour de l’Europe a commencé. Mais Woody, comme effrayé par ce qu’il pouvait découvrir à trop s’interroger sur la noirceur de l’âme humaine, a décidé de revenir à ses premières amours. Cependant, malgré l’indulgence que l’on peut avoir pour Woody, il faut admettre qu’il ne filmait plus des histoires, mais des villes. D’abord Barcelone, puis Paris. Malheureusement, même si les films conservaient une réelle qualité et un profond savoir faire, les villes étaient représentées quelque peu à la manière d’un touriste, comme si Paris n’était que la Tour Effel et les Champs Elysées et que Barcelone n’était que Gaudi. Et filmer une ville ne fait pas un film, même quand on s’appelle Woody. Avec « To Rome with love », on ressent que son tour de l’Europe est éculé. Il faut qu’il rentre chez lui, maintenant. Et pour de bon.
Hommage aux films à sketchs italiens, le film est découpé en plusieurs petites histoires sans aucun lien les unes avec les autres. Woody est un homme de cinéma, il sait filmer, saisir les lumières, les couleurs et les instants (c'est sa troisième collaboration avec Darius Khondji, après "Anything else" et "Minuit à Paris"). Rome semble alors magnifique, poétique, mais également bien loin de ce qu’elle doit être en réalité. Certains personnages sont agréables à observer : Jessie Eisenberg (« The social network ») est un excellent double de Woody (il les choisit toujours très bien), et la relation qu’il entretient avec Alec Baldwin, surnaturelle, semble mélanger la comédie italienne et la comédie « allenienne ». Mais d’autres personnages et d’autres scènes sont trop appuyés, on est parfois à la limite du cliché, alors que Woody avait toujours mis un point d’honneur à souligner la pluralité de ses héros. On a la pseudo-intellectuelle absolument insupportable, le petit bourgeois et le gaucho.
Et puis il y a Woody lui-même. Quand il sort un nouveau film, on est toujours content quand il joue dedans. Ses expressions, ses gestes, ses crises, tous ces éléments qui font de lui ce qu’il est, sont un plaisir des yeux et des oreilles. Mais Woody vieillit. A 77 ans, il semble fatigué, lassé, un œil à moitié fermé…
En sortant du cinéma, on se surprend à se poser une question que l’on aurait jamais voulu avoir à se poser : encore combien de Woody ?