Tootsie!
Voilà un titre qui au départ n'inspire pas plus que ça. Un simple diminutif.
Dustin Hoffman, Jessica Lange, Sydney Pollack, Bill Murray!
Voilà un casting qui allèche pourtant.
Et voilà cette affiche atrocement mal foutue (très année 80 en fait) qui vend une grosse farce alors que ce n'en est pas une.
Ce qui ne veut pas dire que Tootsie n'est pas un film drôle, hilarant même.


Tootsie, c'est l'histoire d'un acteur new yorkais insupportable de perfectionnisme mais qui a la passion de son métier, un acteur qui n'arrive même plus à trouver un rôle de tomate dans une publicité (scène cultissime de la tomate juteuse qui ne peut pas s'assoir).


Par un concours de circonstance, il se retrouve à auditionner pour un rôle féminin dans un soap (enfin feuilleton d'après midi plutôt) médical et contre toute attente, il obtient le rôle. En effet, les personnages féminins du-dit soap sont plutôt castées pour leur atouts physiques que pour leur talent dramatique et servent avant tout de potiche ou d'objet sexuel.
Tootsie n'est pas un sex symbol. Elle a du charme, de l'esprit et du caractère mais ce n'est pas Jessica Lange, alors au sommet de sa beauté.
Michael Dorsey va donc enfin trouver du travail, s'épanouir, se rendre compte de certains comportements malvenus, faire évoluer les choses et après quelques moments un peu douloureux pour certains, avoir la carrière qu'il mérite et peut être l'amour de sa vie.


Dustin Hoffman construit ici l'un de ses meilleurs rôles. Que ce soit Michael Dorsey : impossible, énervant, orgueilleux, perfectionniste, odieux mais aussi passionné, impliqué ou alors Dorothy Michaels : solaire, piquante, perfectionniste, orgueilleuse mais aussi féministe, attentive, à l'écoute, soupe au lait; Hoffman donc éclabousse le cinéma de son talent. Son Michael est hilarant et sa Dorothy irrésistible.
Il porte le film sur ses épaules sans faiblir un instant. Pas une scène qui ne soit impeccable tant dans le ton que dans l'émotion.
Pollack nous livre une très belle ouvrage avec un mise en scène qui laisse vivre ses acteurs et ses personnages. Comme il le dit lui même, quand on a Dustin Hoffman au casting, on a pas besoin de le diriger. Par ailleurs, il passe d'un style très naturel à celui des soaps sans problème et en utilise parfaitement les codes.
Pollack se paye d'ailleurs le bonus de s'attribuer le rôle de l'agent de Dorsey, rôle savoureux bien qu'épisodique (la scène du Russian Tea Room est un délice).
Cependant, si Hoffman est clairement la vedette du film, Pollack ne le laisse pas seul. Il lui donne comme partenaire la sublime Jessica Lange en actrice de soap résignée à son sort de potiche, d'objet sexuel, de maîtresse soumise et que l'amitié de Dorothy révèlera à elle-même.
Se joignent au cortège d'excellence qu'est cette distribution, Bill Murray en colocataire apathique aux théories théâtrales discutables; Terry Garr en actrice nerveuse en recherche d'expériences vécues; Charles Durning en père bluffé et séduit par notre héroïne; Dabney Coleman en metteur en scène reptilien à sang chaud; Georges Gaynes en acteur de soap cherchant le procès pour harcèlement, entre autres.


L'une des grandes thématique du film, c'est le monde du show business, son snobisme, son manque de justice en quelque sorte. Michael Dorsey ne reçoit pas le respect dû à son implication dans son art et à son talent et se trouve méprisé par une bande d'artistes parfois à la petite semaine, snobs et orgueilleux (comme lui aussi d'ailleurs). On voit bien le microcosme new yorkais où les acteurs sans emplois enseignent aux autres tout en cachetonnant dans des publicités. Il n'y a pas de sot rôle pour un acteur qui cherche du travail mais on voit aussi combien avoir une certaine éthique peut coûter.
Une plongée pleine d'humour et d'ironie mais pas méchante. Le personnage de Jeff, Bill Muray, en est un parfait exemple. Le scénario, la réalisation font tout pour qu'on l'aime bien. Il est sympa et drôle Jeff. Mais son public idéal c'est 3 personnes entrées dans le théâtre pour se mettre à l'abri de la pluie et qui ne comprennent rien à la pièce! Le Off Broadway dans toute sa splendeur.
Le monde des soaps n'est pas épargné avec ses scénarios écrits à la va-vite, les changements de dernière minute, la mise en scène à la va comme je te pousse et l'impact public que peut avoir un personnage/un acteur dans ce genre de production qui touche tout le monde grâce à la télévision.


Sans avoir l'air d'y toucher et sur le ton de la comédie (car on peut rire de tout mais pas avec tout le monde), le film aborde également la conditions des femmes dans le monde du show business. Tout ceci prend une raisonnance nouvelle avec l'avènement du mouvement MeToo qui a frappé la planète de plein fouet l'année dernière. En effet, le harcèlement sexuel va bon train sur le plateau du feuilleton. Des lignes scénaristiques où les infirmières ne sont bonnes qu'à se laisser séduire aux réflexions misogynes, en passant par les petits surnoms (grande scène de notre Tootsie d'ailleurs) et les gestes incongrus (voire totalement inappropriées), la situation est une catastrophe à nos yeux modernes. Cette situation n'était pas plus acceptable à l'époque mais les années 80 sont une galaxie très très lointaine. Le féminisme du film s'assume et mine de rien pousse sous les projecteurs des comportements qui semblaient inoffensifs et qui ne l'étaient pas. En 1982, le harcèlement sexuel (ou le harcèlement tout court d'ailleurs) n'était encore qu'une étincelle dans le regard du système professionnel, judiciaire ou policier. Les scénaristes mettent en avant un problème qui n'explosera que 35 ans plus tard.


D'autre part, et c'est un petit twist intéressant, en tant qu'homme Michael n'a jamais prêté attention à ce type de comportements et maintenant qu'il en est la cible, sa conscience s'éveille. Grace à son personnage de Dorothy, il va faire changer les choses, infléchir les comportements sur le plateau, faire que les autres actrices commencent à s'insurger contre cet état de fait et même changer la ligne éditoriale du soap. Un regard d'homme sur la situation la rend visible, ce n'est pas juste, mais c'est comme ça (j'ai vu récemment une interview de Dustin Hoffman qui disait, presque les larmes aux yeux, qu'il avait pris conscience en préparant le rôle qu'il n'était pas une femme séduisante et qu'il aurait été ignoré par les producteurs à cause de ça, que Dorothy était une fille formidable et que lui même était passé à côté de femmes formidables sans les voir à cause de préjugés physiques idiots. Prise de conscience qui éclabousse tout le film).
Quelle joie de voir Julie et Sandie, les infirmières auparavant abonnées aux pamoisons aux pieds des docteurs prendre leur destin en main et avoir un rôle plus actif dans le feuilleton.
Certes, le monde du show biz n'en est pas bouleversé mais le changement dans la balance du pouvoir fait plaisir à voir.
Tootsie n'est pas un film léger : le problème est traité avec sérieux mais dans la bonne humeur.


Autre thème important; l'identité sexuelle. En effet, notre Michael Dorsey, pas plus macho qu'un autre mais pas franchement porté sur le travestissement, ne semblant pas vraiment être un transsexuel qui s'ignore, construit un personnage de femme confondant de vérité. Au bout d'un moment, le personnage de Dorothy prend une vie propre et Michael disparait. Est-ce un effet secondaire de la méthode Actor's Studio ou bien un floutage des lignes sensées séparés le masculin du féminin.
Michael, comme les autres, comme nous spectateur, considère Dorothy comme une personne à part entière. Le père de Julie tombe amoureux d'elle et pourtant c'est un homme (leur dernière scène est d'ailleurs très touchante, pleine de retenue) et Julie est attirée par Michael sous les habits de Dorothy.
Dans une époque où travestissement voulait dire homosexualité et homosexualité comportement féminin outrancier, où la caricature était de mise et souvent le ridicule, ce film aborde tous ces thèmes avec délicatesse et finesse. Ce qui ne l'empêche pas de faire rire avec quelques petits clichés de derrière les fagots qui viennent contrebalancer la mélancolie qui envahit le film au fur et à mesure que Michael se préfère en femme, qu'il se rend compte qu'il est un peu un connard et que Dorothy vaut mieux que lui. Il y a une scène de démaquillage au milieu du film d'une grande intensité, l'émotion palpable de Michael qui enlève le déguisement de Dorothy se voit dans le yeux d'Hoffman, comme s'il tuait sa meilleure amie et qu'il ne voulait pas se voir dans le miroir.


Tout se croise et s'entrecroise rendant cette comédie, qui aurait pu être une pantalonnade distrayante mais creuse et potentiellement vulgaire, touchante, intelligente et l'un des meilleurs films du genre.


Sans fausse note, sans faute de goût, avec brio et panache "Tootsie" emporte le morceau. C'est un grand film et je lui ai donné la 10ème place de mon Top 10, parce qu'elle le vaut bien!


C'est une bien longue critique, je vous remercie d'avoir tenu le coup!

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le 31 janv. 2019

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Anilegna

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