L’automatisme au détriment du réalisme

Luc et Jean-Pierre Dardenne ont fait du chemin depuis « Rosetta » et ont brassé un certain nombre de récits s’installant dans le quotidien funeste d’âmes errantes, parfois contre leur gré. Ce n’est pas aujourd’hui qu’ils vont changer leur recette, car leur caméra colle toujours au dos de personnages qui ne demandent qu’une impulsion ou un élan pour s’élever. Toutefois, l’équilibre ne tient qu’à un film, comme d’habitude et il suffit d’un rien pour que la chute soit fatale, sinon très embarrassante. Comme pour « La Promesse » ou « Le Silence de Lorna », les frères belges continuent d’explorer les difficultés d’intégration pour des migrants plutôt jeune. Cette jeunesse, ils vont ainsi les faire lutter, contre tous et entre deux chants qui pourraient bien les aider à se rapprocher de ce foyer que tout le monde recherche.


Un bateau a vu débarquer nombre de clandestins et a permis de rassembler deux enfants qui vont partager la même histoire et pratiquement les mêmes déboires. Le cadre social est parfait pour les cinéastes qui déroulent leur dénonciation avec un peu trop d’autorité, jusqu’à perdre en efficacité sur la réaction qu’ils cherchent à susciter auprès du public. Ce qui différencie les Dardenne à Ken Loach dans ce film, c’est bien l’émotion, déployée avec vigueur pour l’un et aspirée par le mécanisme du cadrage pour l’autre. Si nous les savons à l’aise avec cette caméra épaule, plusieurs petites choses pèsent dans la balance. La performance des comédiens non-professionnels peut être le premier frein, bien que l’on puisse reconnaître une certaine justesse de la part du jeune Pablo Schils en Tori. Mais pour ce qui est de Lokita, Joely Mbundu ne transpire pas toujours cette dure réalité qui se joue à l’écran. Elle, qui subit les pires situations face à un dealer trop exigeant, finit par perdre pied et ses crises en témoignent.


Dans l’attente de papiers officiels, ce deux-là vadrouille quand ils le peuvent, à la recherche de sous, par tous les moyens, même illégaux, afin de subvenir aux besoins de leur famille restée au pays. L’état restant en sourdine face à la détresse de Lokita, la responsabilité lui revient, mais ce n’est pas un choix. Ce n’est d’ailleurs plus une surprise pour les habitués de ce cinéma, qui tourne autour de héros, impuissants et qui étrangement, ne cessent de trébucher jusqu’au bout. C’est n’est donc pas le récit le plus optimiste des récits que l’on ait pu voir chez les Dardenne, pourtant, ils savent jouer sur l’empathie recherchée, notamment dans une première partie qui ne laisse pas le spectateur respirer, si ce n’est le temps d’un karaoké, qui révèle une grande sincérité dans un élan solidaire.


« Tori & Lokita » cumulent toujours plus d’obstacles et s’en créé de plus en plus à travers des concessions douteuses. Si la musique et la fraternité semblent être leur unique échappatoire dans ce quotidien chaotique et un peu trop manichéen, il sera difficile de se laisser entreprendre par un discours si sombre et révoltant, simplement parce qu’au fur et à mesure que l’on avance, nous prenons de la distance avec les protagonistes. La caricature des « vilains » n’aide pas et les quelques situations incongrues, qui manquent de réalisme. Et c’est pourtant sur ce terrain que les réalisateurs cherchent à nous emmener. Il manquera donc de la finesse et un bon recul pour qu’un tel récit, qui se positionne légitimement vis-à-vis de l’immigration, puisse pleinement captiver.

Cinememories
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le 18 juin 2022

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