Totem
4.3
Totem

Film de Marcel Sarmiento (2017)

... ou comment passer à côté d'un film d'épouvante vraiment malsain

Kellie, sa petite soeur Abby et leur père ont réussi à surmonter le décès de leur mère/femme en créant une nouvelle dynamique familiale où la première a choisi de prendre tout le poids des responsabilités de la défunte sur ses frêles épaules d'adolescente. Avec la force de leurs liens amplifiée par l'épreuve, la famille maintenant dirigée par Kellie dans ce rôle de figure maternelle de substitution est parvenue à trouver un équilibre durable. Seulement, le père vit depuis un bon moment une nouvelle idylle avec une artiste, Robin, et leur relation est sur le point de passer un nouveau cap avec l'emménagement de la jeune femme dans la demeure familiale. Kellie voit l'installation de cette étrangère, incapable de rivaliser avec sa mère à ses yeux, comme une menace susceptible de lui ravir la place qu'elle occupe désormais à l'intérieur de la maisonnée. Et puis, il faut dire que Robin ne fait rien pour se mettre en valeur entre ses sculptures affreuses comme décoration intérieure et son étrange passe-temps d'espionner constamment tout le monde derrière des portes entrouvertes avec une tête louche. Mieux, pour le premier dîner de cette famille recomposée, l'artiste se met gentiment à saupoudrer les plats de graines de cannabis alors que Kellie, en tant qu'athlète accomplie, doit garder une hygiène de vie irréprochable, il y avait sans doute mieux à faire pour se faire accepter par l'adolescente.
En plus de cette intégration difficile, voilà que d'étranges phénomènes se mettent à se produire dans la maison, trahissant la présence d'un esprit apparemment lié au collier de la défunte mère. Et si cette dernière était revenue d'entre les morts pour botter les fesses de celle amenée à la remplacer ?


Le prétexte d'un totem (un objet tellement lié à une personne de son vivant que son esprit y reste attaché après la mort) donnant son titre au film de Marcel Sarmiento n'aura finalement que peu d'importance sinon de donner un semblant de particularité au fantôme au coeur des événements. "Totem" a d'ailleurs plutôt raison de ne pas trop s'y attarder (quelques recherches Internet pour comprendre de quoi il en retourne et hop, on passe à autre chose) et de privilégier sa plus grande qualité : une intrigue loin d'être bête et étonnamment malsaine qui tranche avec le tout-venant de ce genre de films d'épouvante adolescents dont Blumhouse nous nourrit inlassablement (eh oui, la firme aux esprits maléfiques est bien entendu dans le coup de cette coproduction à petit budget distribuée par Cinemax).
On aurait pu craindre le pire avec une énième base de drame familial simpliste se servant d'un instrument surnaturel pour expliciter les peurs qui habitent ses protagonistes mais non, même si, dans un premier temps, "Totem" tire en apparence toutes les grosses ficelles de la reconstruction après un drame ensuite parasitée par l'arrivée d'un double élément perturbateur (une potentielle belle-mère et un fantôme du passé), le film surprend par son traitement plutôt habile de ce choc entre passé/futur empêchant les personnages d'avancer. Évidemment, comme il prend la forme d'un trompe-l'œil pendant sa majeure partie, il court souvent le risque de donner l'impression de nager en terrain plus que connu en pointant du doigt une menace qui ne se trouve pas là où tout paraît logiquement nous mener mais, déjà, grâce à un ton souvent juste sur les relations entre les personnages et qui n'hésite pas à évoquer le côté tendancieux du rôle de mère/épouse de Kellie dans la famille là où elle ne devrait être qu'une fille/soeur, notamment sur l'ambiguïté du regard qu'elle pose sur son père (elle se refuse toujours à aller plus loin avec un prétendant de son âge par exemple, comme si elle était déjà "mariée"), "Totem" se révèle bien plus profond que l'on n'aurait pu le croire et, grâce à l'interprétation plutôt convaincante de Kerris Dorsey, suit un chemin un poil plus subtil qu'à l'accoutumée.
Hélas, du côté de l'épouvante, le long-métrage n'a vraiment pas les mêmes qualités. Obligé de délivrer son quota de frissons avec l'argent de poche d'un écolier de dix ans, le film est d'une pauvreté visuelle sans nom lui donnant des allures de téléfilm médiocre où aucune ambition esthétique, tant au niveau de la réalisation que celui de la photographie, ne vient le sauver de la platitude la plus exemplaire. Tombant la plupart du temps dans toutes les facilités paranormales et autres jumpscares éculés (de l'ami imaginaire de la petite fille au chat bondissant de nulle part devant la caméra, tout y passe), Marcel Sarmiento offre bien quelques passages plus réussis que les autres à ce niveau, comme un vomi capillaire ou l'exécution sadique d'un être innocent mais, là encore, l'indigence de la réalisation (et la faiblesse du budget n'en est clairement pas la seule cause) ne permet aucunement de les mettre en relief. Pire, lorsque Marcel Sarmiento aura l'idée saugrenue d'en dévoiler un peu plus sur l'apparence de son spectre, les lamentables effets spéciaux emmenèront "Totem" lorgner dangereusement du côté de la série Z.
Heureusement, les volontés bien plus séduisantes que l'on avait entrevues du côté de l'intrigue vont déboucher sur un twist final bien pensé et mettant en avant une perversité aussi rafraîchissante qu'inattendue pour un genre aussi formaté. Le problème c'est qu'une fois cette révélation passée, Marcel Sarmiento va assez vite céder aux sirènes du grand-guignol, entraînant cette bonne idée de conclusion dans l'exagération à outrance et lui ôtant, par la même, toute once de réalisme. Vraiment dommage car le propos dans sa globalité était bel et bien là avec sa pertinence et une audace qui faisait cruellement défaut au film sur tous les autres plans.


Son intrigue donnait donc à "Totem" toutes les cartes pour se faire remarquer dans la masse des teen-épouvanteries habituelles mais son approche si formatée d'un tel sujet afin de ne pas froisser le public auquel il s'adresse et son manque flagrant d'ambitions formelles le condamnent presque de fait à une uniformité médiocre inhérente à ce type de production...

RedArrow
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le 22 févr. 2019

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