Ni tout simplement blanc, Ni tout simplement noir

C'est d'abord surprenant par la forme choisie, une sorte de docu fiction qui permet de suivre le périple, pratiquement initiatique de Jean Pascal Zadi pour mettre à bien son projet de marche pour la "cause noire"(guillemet non ironique ne vous vexez pas, c'est juste le questionnement du film). Cela implique une bonne compréhension du monde réel, de ses codes, de ses médias, des réelles réactions possibles face à une caméra, ce qu'on ressent pleinement dans ce film qui évite le piège de la lourdeur de la parodie et du cliché, en restant réaliste. Le quatrième mur est pris en compte mais n'est pas convoqué sans cesse. Des interviews, aux expériences sociales de Jean Pascal, il y a un soin particulier pour ce réalisme et donc pour le propos du film.


C'est ensuite drôle, pas lourd, et clairement dosé au niveau du caractère des personnages. Pas de clichés poussés à l'extrême qui feraient passer ce film à l'humour subtil et juste pour une comédie sans fond et à l'humour lourd. C'est un humour plaisant, qui évite l'auto-sabotage de la comédie docu-fiction qui permet une forte proximité avec le personnage (ses faux-semblants, ses faiblesses, la réalité, sa façade qu'il se construit devant la caméra qui se brise devant les réactions de ses interlocuteurs) mais peut créer une absence de prise au sérieux de celui-ci par le spectateur. Ce genre de films par sa forme qui présente d'emblée un effet réaliste, joue souvent sur le quotidien et un effet de malaise dû à la médiocrité du personnage, soucieux de faire bonne figure, et prêt à toutes sortes de stratégies de société pour arriver à ses fins. Dans ces situations, le personnage perd soit l'affection du spectateur, soit l'individualité du personnage en le transformant en l'archétype de "l'hypocrite", ce qui ne donne du poids à aucun de ses propos, sans cesse questionné et déconstruit (bien entendu ces deux caractéristiques sont théoriques, le Michael Scott de The Office n'est pas totalement absorbé par le personnage de l'hypocrite). Ce qui aurait été une erreur pour un film qui présente un personnage qui se définit par son appartenance à une ethnie "noire", et pour un film qui possède un réel propos sur cette question. Le comique n'a donc pas contaminé ce Jean Pascal militant et ses rencontres dans le monde des personnalités dites "de couleur", personnage honnête mais comique par les absurdité de cette honnêteté, qui rencontre les diverses objections de sa cause, dérives comme oublis. Les scènes réalistes, grinçantes du film, des disputes, des conflits d'idées sont vraiment drôles et portent chacune un sens: Mention spéciale à la dispute entre Fabrice Eboué et Lucine Jean Baptiste dans laquelle la question de la représentation de l'histoire de l'esclavage ou de la représentation de "noirs" en France, par le choix de la comédie justement, est posée et dont la montée en tension causée par Jean Pascal est vraiment efficace par l'enchainement de punchlines et leur surenchères qui mènent à toucher la sensibilité de chaque personnage. La comédie est quant à elle dans ce film purement adapté pour le traitement de cette question : on ne rigole pas de la cause, mais de la manière de la mener. Le film n'en fait jamais trop, le sujet est traité légèrement pour ne pas tomber dans l'excès dramatique choisi par d'autres films, mais surtout, éviter l'excès comique.


C'est enfin juste. L'humour, le rire redresse, il pointe les absurdités de caractères ou de pensées. C'est donc ici la place des gens de couleurs noirs dans leur globalité dans la société française actuelle, leurs moyens d'opposition à cette place assignée dans les mœurs, qui est l'objet du rasoir de l'humour, entre communautarisme exacerbé et lutte adaptée, victimisation et réelles conditions et faits. Le personnage de Zadi évoluera donc dans cette lutte, qui le fera passer de la recherche de soutien de "stars" à la réalité de cette question de société. "L'ethnie noire" face à ses réalités, les réelles questions d'identité , les rapports à d'autres luttes actuelles qui peuvent être rendues incompatibles avec le point de vue du personnage : Environnement, Féminisme ou autres appartenances ethniques. Si il y a bien un traitement toujours différent des gens de couleur dans la société, qui n'est plus juridictionnel mais ancré dans les mœurs de la société, il n'y a pas de réelles identité : il y a des personnes "noires" qui se construisent une identité dessus ou non, et pas une "ethnie noire". S'il évoque bien la condition possible de toute personne de couleur noire par les bavures policières, la condition possible de l'acteur noir dans des castings qui recherchent ce cliché du "noir" (en le rendant comique par son incompréhension), des dérives, des clichés peuvent aussi être véhiculés par les discriminés eux-mêmes (Zadi se prend d'ailleurs des bonnes leçons jouissives et justes par les femmes noires du milieu du cinéma, du stand-up et de la télé, le personnage de Fary en lui-même représente cette ambiguïté). D'où la nécessité d'être juste, de prendre en compte tout cela dans la forme comme dans le fond, pour aller droit au but, ne pas se couper de la réalité. Ce que l'humour véhicule par sa justesse, ce n'est pas la mise en exergue d'une "fausse cause" militante, de "don-quichottes" qui luttent contre ce qui n'existe pas, la parole étant légitime sur plusieurs aspects, mais de montrer que ce n'est pas si simple et qu'il faut lutter contre cette apparente simplicité qui détruit tout, l'individu et sa cause. Voir les différentes données et conditions, histoires, appartenances. Eviter le tabou, la sensibilité du sujet par le rire. En fait ce que le film évite, c'est un traitement binaire, bon ou mauvais, tout simplement blanc ou tout simplement noir.

Durax
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le 25 avr. 2022

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Durax

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