Découvrir Trainspotting juste après la claque que m'a mise Requiem for a Dream avait tout de la détente absolue; le film, affilié à un registre comique que ne partage pas son successeur, commence dans un rythme effréné pour ne rien en lâcher. Film hargneux s'il en est, l'oeuvre qui révéla au monde le talent clipesque de son réalisateur, un Danny Boyle inspiré, se construit au départ comme un plaidoyer de la cool attitude aux allures burlesques, pour ensuite virer, l'amour venu, dans le drame à proprement parler.


Là où Requiem for a Dream s'intéressait à la destruction de la famille (biologique et amicale) causée par la drogue, Trainspotting disserte quant à lui sur la perte progressive de l'espoir, des idéaux, de la dignité et de l'honneur au profit de quelques doses de crac prises entre deux interpellations et une cure de désintox. Le personnage interprété par Ewan McGregor représente parfaitement cela : amoureux d'une fille pas même majeure, honnête au départ mais forcé au mensonge par la rudesse de son vécu, Renton s'érige en représentant de cette société underground, coutumière des overdoses et des gros délires en trip hystériques.


Il se pose également comme défenseur de la cause de ces camés qu'on abandonne, qu'on suit de loin en attendant la première erreur : c'est ainsi que l'on aura droit à un passage d'une ironie savoureuse en début de film, séquence durant laquelle il exposera toutes les remarques que lui font son entourage sur son mode de vie et ses fréquentations, en affichant à la vue du spectateur la malhonnêteté intellectuelle d'un discours qui condamne une drogue en étant complètement accro à une autre (l'alcool, la cigarette, la nourriture, etc).


Si l'effet de style est amusant, il fait remonter en surface l'un des soucis d'écriture de Trainspotting : trop soucieux de prendre la pose et de présenter son intrigue de façon cool (envie qui se répercute aussi sur la manière d'héroïser ses personnages minables), il a tendance à trop dire sans le montrer suffisamment finement, à partir en frontal quand un tel exercice de style mérite de prime abord une discrétion de développement fouillée et habile.


Ne pas montrer si clairement les défauts de la société aurait rendu la critique encore plus incisive et véridique : disons qu'il aurait eu plus d'ampleur à affiner son propos plutôt qu'a le balancer comme une tarte en pleine figure, à l'image de Trenton qui termine sa course, en début de bobine, le dos contre un pare-brise. Il n'est pas impossible de trouver une corrélation entre cette écriture qui manque de discrétion et la mise en scène tape-à-l'oeil de Boyle, qui prévoyait déjà au milieu des années 90 les tics de mise en scène insupportables du début des années 2000.


Il est d'une certaine manière l'un des précurseurs de cette esthétique du clip à laquelle on aura droit quelques années plus tard, et a le mérite non négligeable d'être l'inspiration première du superbe Requiem for a Dream d'Arofonovsky. Paradoxalement, là où le clip dynamitait totalement les attendus du manifeste anti-drogues de 2000 et donnait une dynamique incroyable à la première heure de Trainspotting, on sent un certain essoufflement de la mise en scène à l'arrivée du monde underground de la techno, auquel s'ajoute l'évolution des moeurs, des plaisirs et des types de drogues ingérés.


Balancé non sans humour, ce passage d'un âge à un autre prévoyant déjà la transition entre un cinéma plus classique et un autre moderniste, aux codes différents, plus excessif visuellement marque une étape particulière dans l'esthétique du film : c'est alors que l'oeuvre, encore plus excessive qu'au départ, donnera justice au charisme de ses acteurs par une iconisation venant cruellement jurer avec leurs personnalités pathétiques, menteuses, indignes.


Là où McGregor n'est au final qu'un gosse perdu qui tombe amoureux du symbole féminin qu'il n'a pas pu connaître au collège plus jeune, là où il suit une cure de désintox (prétexte à la déformation des angles de caméra, à l'extension généreuse des cadres ainsi qu'à la distorsion des couleurs), Boyle le représente comme une victime de sa propre vie qui attend toujours le bon moment pour prendre les reines; d'une figure fragile, faiblarde on passe à un opportuniste malin qui sait quand se battre et quand se taire, où aimer et où se planquer pour échapper à la loi.


On ne peut cependant s'empêcher de réaliser que malgré tous les efforts du réalisateur pour mettre en avant la cool attitude de son film et de ses personnages, malgré tout ce qu'il a pu faire pour le rendre comique, divertissant, détente, Trainspotting tient surtout du drame tragique durant lequel il suffira de la mort d'un personnage en particulier, ajouté à celui d'un enfant (passage d'une finesse de narration exemplaire, par contre), pour se recentrer sur une narration plus intime, enfin éloignée du superficiel et du désir d'impressionner son public.


Boyle étant aussi capable d'émouvoir (toute mesure garder), il profite de cet évènement dramatique pour repartir de plus bel dans son intrigue et nous conduire vers des sommets de n'importe quoi. Trainspotting, ou la part manipulatrice de l'humanité, répugnante, exécrable qu'on déteste aimer.

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le 13 déc. 2019

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FloBerne

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