On connaissait le penchant de Nanni Moretti pour les films dramatiques aux mises en scènes dépouillées, en cela Tre piani ne diffère en rien des habitudes stylistiques du cinéaste, mais Moretti s'emmêle ici les pinceaux et ne réussit pas à créer un espace filmique cohérent et vérace.


Le nouveau film du réalisateur d'Habemus papam entend raconter les vies et les destins des habitants d'un immeuble qui vivent tour à tour des événements tragiques sur une période de dix ans. Tre piani se distingue dans la filmographie de Moretti comme étant le premier film pour lequel le cinéaste a adapté une œuvre de l'écrivain israélien Eshkol Nevo, le reste de ses films ayant toujours été écrit à partir d'une idée originale. Peut-être est-ce cette nouveauté qui n'a pas permis à Moretti de réaliser un film au même niveau que ces précédentes œuvres dont l'émotion dramatique était toujours calibrée de sorte qu'elle ne soit jamais écrasante mais sincère et crue. À l'inverse, dans Tre piani l'idée de créer un immeuble dans lequel s'entremêlent les drames de chaque famille n'aboutit pas car la cohésion y est absente.


Tout semble se passer comme si le premier événement dramatique dans les premières minutes du film, l'accident qui provoque la mort d'une femme par le fils alcoolisé de Margherita Buy et Nanni Moretti, n'était qu'un prétexte pour débuter un film où s'accumule tragédie sur tragédie. La première séquence est très belle mais aurait dû avoir plus d'impact pour chaque famille de l'immeuble, c'est à partir de cette séquence liminaire qu'aurait dû découler les événements ultérieurs. Au lieu de ça, le film propose une superposition de thématiques tragiques et donc peu vraisemblables à l'intérieur d'un espace limité qu'est l'immeuble : la maladie mentale, la sénilité, la corruption politique, les migrants, les affrontements entre parents et enfants ou encore les crimes sexuels. Ça fait beaucoup pour un immeuble de trois étages.


La fin du film se veut beaucoup plus sobre mais elle ne réussit pas non plus à sortir des clichés façonnés tout au long du film pour finalement créer un "tout est bien qui finit bien" qui résulte lui aussi d'une narration tristement grossière et lourde.


Malgré cela la mise en scène de Moretti, dépouillée et tendre avec les personnages, réussit à nous séduire par sa rudesse et par le travail des acteurs d'une grande justesse, on pense surtout à Alba Rohrwacher qui crève l'écran. La présence de Nanni Moretti au casting est, elle, plaisante tout comme sa disparation soudaine du film qui lui permet de mettre en valeur les autres acteurs et notamment celle qui joue sa femme, Margherita Buy, qui se débrouille tout aussi bien sans lui. Cette rétractation prouve la modestie du cinéaste/acteur qui semble seulement vouloir accompagner ses comédiens pour finalement les voir voler de leurs propres ailes.


La froideur qui se dégage du film est intéressante car elle permet de contraster avec l'abondance des drames mais ceux-ci restent malgré tout souverains et offrent aux spectateurs un sentiment d'éparpillement qui alourdit le film. Nanni Moretti et son Tre piani tarde à nous convaincre et son statut, qui lui confère le potentiel d'être un des meilleurs cinéastes européens de notre temps, ne peut être ici affirmé et c'est sans doute pour cela que l'on attend encore plus de lui. Nous ne pouvons que conseiller son précédent mélodrame, Mia madre, qui était quant à lui beaucoup plus réussi.

Charlotte2503
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le 16 nov. 2021

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