Trois vies, une seule mort.
Mois d'août à Paris, André Parisi se réveille difficilement, bruits familiers du petit déjeuner, l'aspirateur grésille, un verre d'eau, trouver une pharmacie, sa femme Marie demande des tomates, une baguette, il a mal à la tête, dans sa salopette bleue, l'appartement d'en face est à louer, il faut faire la queue au tabac, prendre la réserve de cigarettes, pour tousser un peu plus. C'est rare de ne pas contrôler son hilarité, il n'a pas le droit de vivre si longtemps mais il lui arrive des choses si drôles qui donnent envie de continuer. C'est le voisin qui lui propose un verre, mais andré est en retard, il dort si mal en ce moment, lucky strike légères, un peu de champagne, c'est bon contre sa gueule de bois, et ça s'arrose de gagner aux courses. Il se nomme Mateo Stranio, vient de Catania, il a beaucoup voyagé, est prêt à payer pour mieux le connaître, lui parler, il se sent si seul. Une heure seulement, c'est d'accord, mais on l'attend, enfin, il espère. Mais pourquoi ne pas converser avec cet inconnu ? Il habitait à l'escalier b au deuxième étage, à la même adresse que son interlocuteur, mais 20 ans auparavant ; il souffre de migraines, d'amnésie, il vivait avec sa propre femme dans le temps. Une autre bouteille pour digérer l'information, il y a 5 ans, sa fille est partie, maintenant Maria a fait un autre enfant avec son nouveau compagnon, il veut tout savoir sur leur vie, dans un certain sens, il est de retour, il pourrait tout décrire de leur appartement, avec minutie, il se souvient de leur rupture, des centaines de photos avec eux dessus, aimé et être aimé peut devenir un enfer, quand tout devient une photo, quand il photographiait chaque détail infinitésimal de son existence, jusqu'à ne plus rien reconnaître de ses alentours. Ce sicilien jaloux de lui-même, c'était le temps de Duclos, du commerce des faibles placardé sur des affiches militantes et rouges, il avait loué un appartement aux proportions étranges, 120 mètres, qui semblaient beaucoup plus vastes dans sa mémoire.
On peut partir 15 ans à l'étranger, plus personne ne vous reconnaît, Paris permettait de parcourir quelques mètres seulement pour se perdre, s'oublier. Des voix venaient du fond de l'appartement, des fées qui ne pensent qu'à manger, qui dévorent les années des autres en quelques nanosecondes. Chaque instant fourmillant et immobile sur une photo le fascine, il sait que les fées mangent des pétales de rose, dans ses rêves en tout cas, et qu'elles sont chronophages, oui, elles bouffent le temps des gens, ces petites obsessions rêveuses, travailleuses infatigables de l'humanité dimanche et du monde diplomatique, entre un Cherry Brandy et deux pastis, tissant des mirages plaisantins, laissant leurs proies prisonnières des instants, des événements s'avançant, reculant, au hasard des rencontres, comme une trajectoire de boule de billard. Il a bien habité 20 ans, 3 mois, deux semaines, quatre jours, trois heures et 27 minutes en face de lui-même, observant les restes de sa vie dans le miroir. C'est la faute aux fées, aux obsessions. Que faire pour récupérer sa vie ? Il faudrait que son voisin accepte d'échanger leurs appartements.
Trop c'est trop mais rien c'est déjà trop, il refuse, plus qu'à l'achever au marteau, santé !
Georges Vickers a 69 ans, célibataire sans enfants, vivant chez sa mère, adieux à sa maman infirme, l fait beau ce jour, saumon norvégien, toast sans beurre, tisane, fromage blanc, exceptionnellement deux verres de brandy pour la dame, il se sent soulagé dans les sentiers du Père Lachaise, remonte la rue des archives, il se sent profondément heureux, mendiant à succès, tous les passants lui donnent des pièces, surtout à Montmartre, il demande la charité entre 6 et 9 heures, une routine pour embuscades, une belle prostituée le sort de cette agression, elle lit Castadena, il lui fera un cours d'anthropologie négative. Elle se nomme maria-gazbi soit Tania la Corse, il prend un banc de la Place Blanche pour nouveau domicile, lui parle de ces langues qui font obstacle à la culture.
Sa mère observe sa conversion statutaire, des bancs de la Faculté aux bancs publics, il gagne autant qu'à la Sorbonne, sa mère meurt, devant le cercueil, il éprouve la nostalgie de son insouciance passée, ses vestiges. Désormais, il sera en proie au vertige des responsabilités. Dans une feuille à scandales, il apprend que Tania est en fait une prospère PDG en électroménager, corrompue et désormais emprisonnée. Il versera une caution par estime et respect pour cette créature atypique ; entre imposteurs, ils se comprennent, puisqu'il n'est pas non plus vraiment clochard, aucun obstacle pour se marier, un homme qui ose descendre au plus bas, ça compte. La proximité du démoniaque les relie possiblement, à moins qu'elle ne s'interpose, coexistence branlante, amphithéâtre de la Sorbonne, demi-tour, Père Noël et marchand de marrons juxtaposés, il pressent qu'il doit partir. Tania est élégante et distinguée, perverse et cultivée. Il laissera sa rente pour elle, pour se consacrer à la dépossession.,

L'excès de bonheur revient à son envers, et celui de générosité au comble de la tyrannie, suspendre l'incrédulité, ouverts à la contagion de l'ironie, un jeune couple de châtelains quitte sa propriété, cécile et martin s'aiment, même s'ils se sentent épiés et poursuivis, notamment par leur voisin piotr, érotomane et chercheur en thermodynamique qui ne supporte plus leurs ébats. Drainage lymphatique, martin aime la vie, de toute façon il n'y a pas le choix, regarder. Il faut regarder les gens travailler, boire, puis arrêter, Cécile s'est mise en contact avec une société d'import-export, Martin l'a trompée, elle n'a rien à y redire, ils se comprennent, Tchécoslovaquie, Roumanie, presse-légume métallique, type râpe à gingembre, un secteur en développement, cécile est gauche et charmante, quand elle se penche sur sa machine à écrire, oui, elle n'est que gaucherie délicieuse. Martin fait l'amour à d'autres pour se faire pardonner sa fidélité. Ils sont persuadés qu'il y aura toujours quelqu'un pour les aider, ils ont un protecteur qui les a rendus riches héritiers, avec château et majordome sinistre en option. Ils l'acceptent, l'esprit léger et une ombre d'inquiétude au coeur. Le majordome disparaît souvent, de plus en plus taciturne, ils ont serpents et perroquets, cécile dort trop, martin pas assez, il fait le mort, en compagnie de sans abris, ils partiront pour retrouver les fins de mois difficiles, quittant l'ambiance luxueusement viciée, avec un dû en trop, mais lequel ? Leur bébé pourra finir 38 rue de Maastrich, avec une fenêtre ouverte sur le vide comme une tentation.
ThomasRoussot
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le 11 oct. 2013

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