Je n'ai connu le cinéma de José Padilha qu'après son excursion en Amérique avec le décevant reboot de Robocop, détenteur de bonnes idées mais trop plein de volonté pour pouvoir toutes les canaliser et les développer convenablement. J'espérais que sa période brésilienne change les choses.


Troupe d'élite, son premier long-métrage réalisé, surprend de prime abord : il est difficile de trouver des similitudes visuelles avec son oeuvre grand public de 2013 (pas tant que cela, au final); la photographie, aux couleurs chaudes, détonne avec le rendu très Nolanien de son oeuvre future, encore plus couplée à cette réalisation au plus proche des personnages, presque typée documentaire, qui favorise le réalisme au détriment de la beauté artistique.


Bien plus violent, cru et sans concession que ce à quoi on pouvait s'attendre, Tropa de Elite a l'intelligence de ne pas tomber trop rapidement dans l'action : il amène comme il faut ses personnages, place avec soin les relations sociales qu'entretient l'aspirant Matias, personnage principal tiraillé entre son attirance pour une fille proche du cartel et la loyauté due à ses frères d'armes, loyauté qui détruira sa vie sentimentale au profit de la sécurité des banlieues de son pays.


Ce sacrifice, jamais romancé ou ne serait-ce que tire-larme, s'impose comme la conséquence logique de son train de vie : Matias et son meilleur ami, lui aussi engagé dans les forces de police, ont fait leur choix d'avenir, et devront ainsi en assumer les conséquences, conséquences qui ne tarderont pas à se faire ressentir lorsque sa couverture commencera à s'affaiblir. A la manière d'un super-héros du peuple, Matias ne peut révéler son identité secrète; il devra la protéger coûte que coûte.


Bien sûr, vient le moment où ses ennemis l'apprennent : c'est alors que le film, jusqu'ici friand de nous dépeindre le quotidien des favelas de Rio, vire du tout au tout en nous proposant une dernière heure d'entraînement et de règlements de compte où le personnage principal passera au statut de vigilante (enfin, sous couvert de la loi). C'est là que le fond du film surprend, et que je peux comprendre les reproches faits à sa sortie autour d'une certaine éloge à la violence.


L'heure précédente, Troupe d'élite nous présentait un quotidien sans héros, sans avenir autre que celui qu'on se forge soit sur des livres de cours, soit en vendant des lignes de coke aux plus aisés : les cartels n'y étaient pas plus cruels que les riches qui les faisaient vivre, et la critique sociale, terrible et réaliste, portait ses fruits avec une grande efficacité : ceux qui incendient la police en jouant les protecteurs sociaux ne sont pas touchés par la discrimination qu'ils dénoncent, puisqu'ils ne font pas partie des milieux touchés.


C'est ce que Padilha dévoile sous le regard imperturbable et incorruptible de Matias, proche du Kevin Costner du film éponyme de Brian de Palma (en plus humain) : les aisés, sous couvert de se pardonner de la débauche de leur train de vie, défendent une souche de la population qu'ils participent à rendre misérable, dont ils financent l'exploitation, le massacre, la discrimination par leur consommation journalière de drogues dont on retire, comme principale conséquence sur leur vie, une défonce plutôt sympathique méritée puisque payée au risque de se faire contrôler par les policiers.


Cette justesse là est toujours présente dans la seconde partie du film, à la grande différence que Padilha envoie valser l'affect pour mieux imposer son action : ce qu'il perd en finesse d'analyse, il le remplace par une efficacité d'action passionnante qui, pourrait-on le comprendre ainsi, glorifie ces forces de frappe brésiliennes n'hésitant pas à employer les grands moyens (torture, meurtre, intimidation, ...) sans pour autant trouver de second axe de vue afin de tempérer leurs coups d'éclat ultraviolents.


Des actions de ces justiciers, on retient surtout une légitimité forcée par le cours des évènements : si leurs ennemis emploient des techniques d'intimidation extrêmes, ils feront pire et massacreront tous ceux qui leur font face, rendant justice à leur manière. Padilha rend leurs actes jouissifs par le traitement rendu à certains des personnages qu'il montre comme justes, et qui ont pâtis du vice, de la lâcheté des têtes riches du quartier.


Comme l'annonçait Fitzgerald dans son magnifique Gatsby, certains détruisent tout et s'envolent sans conséquences, protégés par la réputation et l'argent; voilà ce qui fait basculer Matias d'un bord à l'autre, ce qui le propulse dans les traces du charismatique Capitaine Nascimento, tenu avec talent et présence par Wagner Moura. Il amène avec lui la confirmation qu'une vie vouée à la protection de la population n'est pas compatible avec l'épanouissement personnel dont rêve tout Homme : son couple, dysfonctionnel, ne survivra pas à la quête d'un remplaçant, passée du statut d'espoir de vivre une vie loin de tout cela à trouver une figure de fils remplaçant celui qu'il perdra en brisant sa propre vie de couple par "acharnement" au travail.


Bien entendu, il s'agit là de l'aspirant Matias, auquel André Ramiro rend justice du début à la fin. Il porte le film sur ses épaules, et prend le pas sur quelques longueurs mal venues, sur ce style documentaire donnant peu d'images auxquelles repenser, sur cette conclusion certes explosive et bien menée mais terminée trop rapidement dans un effet de style qui tombe à l'eau.


Une jolie expérience ouvrant sur une autre manière de voir la justice, plus extrême et sans concession, qui amène une nuance à l'héroïsme de ses forces de frappe durant sa dernière demi-heure : ces "héros", s'ils sauvent par la mort et la cruauté, ont de fait un contre-coût à régler : le sacrifice de leur vie personnelle, détruite par les comportements discutables de leur seconde-vie, peut-être la seule vouée à rester jusqu'à la fin de leurs jours, qui peuvent être signés du jour au lendemain. Des martyrs bien heureux de l'être.

FloBerne

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