Délicieusement anti-moderne
J’ai eu l’occasion, il y a plus de deux ans, de dire du bien de Mathieu Seiler après avoir vu son film Der Ausflug, bonne surprise du NIFFF 2013. Le même festival ayant à nouveau invité le...
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le 9 juil. 2015
Bien que daté de 2015 True Love Ways reste à ce jour le dernier film du réalisateur suisse allemand Mathieu Seiler. Encore scotché et groggy par la claque de son premier film Stefanies Geschenk, je me suis rapidement mis en quête d’une nouvelle expérience afin d’explorer un peu plus la filmographie de ce réalisateur à l’univers singulier et très (pour ne pas dire totalement) méconnu en France.
Avec True Love Ways (titre emprunté à une chanson de Buddy Holly) le réalisateur nous embarque dans la sombre histoire d’une jeune fille qui souhaite prendre du recul sur son couple suite à un rêve qui a bouleversé sa vision de l’amour. Son petit ami accepte alors le plan tordu d’un inconnu croisé dans un bar dans lequel il noyait son chagrin, planifier l'enlèvement de sa petite amie pour venir ensuite la sauver tel un chevalier et reconquérir son cœur. Rien ne va se passer comme prévu, le mystérieux inconnu étant à la tête d’une organisation criminelle qui tourne des snuff movies clandestins …
Moins abrasif et perturbant mais toujours aussi sombre, plus linéaire et compréhensible mais toujours aussi étrange, toujours en noir et blanc mais avec un léger réglage du contraste vers plus de luminosité True Love Ways est clairement un cran en dessous du cauchemar sensitif et glauque de Stefanies Geschenk. Le film n’en demeure pas moins une nouvelle expérience marquante aux zones d’ombres toujours aussi troubles et sujettes aux interprétations du spectateur. On retrouve de nouveau au centre du récit un personnage féminin un peu perdu au croisement de choix existentiels pour son avenir, il ne s’agit pas ici de grandir ou rester enfant, mais de poursuivre une relation dépassionnée ou de se laisser bercer par le rêve d’un idéal amoureux fantasmé. Le personnage de Séverine est interprétée par la comédienne Anna Hausburg dont quasiment toute la carrière se fera à la télévision allemande et si l’actrice n’a pas ce magnétisme étrange qui accroche immédiatement le regard, elle s’en sort vraiment bien dans ce rôle complexe de femme d’apparence fragile en proie aux pulsations interne et aux démons externes. Le film démarre sur un registre assez classique de drame intimiste d’un couple en crise ne distillant que des bribes assez éparses d’étrangeté comme une photo dans un cadre, un film d’horreur à la télévision ou une étrange petite fille dans un fauteuil roulant croisée dans un parc. True Love Ways va ensuite s’aventurer sur un univers un peu plus onirique dans lequel on pourra déceler de nombreuses figures et références propres aux contes. Séverine se perd dans la forêt, se retrouve traquée métaphoriquement par le loup, investie la tanière de l’ogre, se cache sous un lit comme Boucle d'Or, perd une chaussure dans l’escalier comme Cendrillon ou se retrouve enfermée au cellier en attendant d’être dévorée. D’ailleurs le film parle ouvertement de toute une mécanique assez sordide imaginée par des hommes pour construire artificiellement dans l’imaginaire collectif des figures de princes sauveurs providentielles tout en jouant sur la vulnérabilité de femmes fragiles. Enfin fragile, tout est relatif puisque Séverine va aussi se transformer en Walkyrie de survival pour se sortir de l’ornière lorsque le film glisse vers la fable plus ouvertement horrifique.
True Love Ways est sans doute plus accessible et moins dérangeant que Stefanies Geschenk mais le film n’est pas pour autant tout lisse et plaisant à regarder. Par sa mise en scène toujours aussi rigoureuse, son choix de cadres et son ambiance parfois lourde, Mathieu Seiler nous offre une nouvelle fois des scènes qui restent durablement en tête par leur étrange poésie, le malaise suggéré qu’elles engendrent ou au contraire par leur crudité frontale. Il suffit souvent de presque rien pour que le film glisse de temps en temps vers des territoires plus troubles que d’apparence comme lorsque Séverine se pince les lèvres semblant prendre du plaisir à être battue ou que revient planer l’ombre insidieuse de sentiments et d’une sexualité déréglée par une enfance maltraitée. La fin du film laisse aux spectateurs le soin d’avoir sa propre interprétation et libre à vous de lire la mienne que je réserve en partie SPOILER.
Après avoir vaincu ses agresseurs et compris que son petit ami en était le complice, la jeune fille s'échappe et se retrouve prise en stop par l’homme à la voiture blanche qui était dans son rêve initial et là on pourrait se dire happy end la boucle est bouclée, tout va bien qui finit bien. Sauf que Mathieu Seiler poursuit son film sur une nouvelle boucle mais en forme de recommencement, Séverine tout de noir vêtue (alors qu'elle commence en robe blanche virginale) avoue une nouvelle fois à son petit ami qu’un rêve étrange la fait douter de ses sentiments sauf que cette fois ci elle rêve de retrouver l’un de ses bourreaux dans la maison de son calvaire et sur le lit qui servait de scène de tournage aux snuff movie … Après le gentil prince de l'histoire, Séverine semble rêver du grand méchant loup comme dans un éternel sentiment d’insatisfaction. Mathieu Seiler s’attarde alors à nous en révéler un peu plus sur l’histoire de la photo du cadre dans lequel on voit Séverine encore enfant avec une robe de mariée tandis que son père la tient fermement par l’épaule. Quelques minutes troublantes et malaisantes mais qui peut être expliquent toute la psyché désorientée de la jeune femme tiraillée entre des désirs sages de princesse et des plaisirs bien plus troubles comme une nouvelle fois perdue entre l'innocence d’une enfant qui croit au prince charmant et une femme adulte en proie aux désirs parfois pervers des hommes.
Une nouvelle fois Mathieu Seiler fait preuve d’une grande maîtrise dans sa mise en scène tout au long d’un film visuellement très beau qui s’apparente tout à la fois au drame, au thriller, au conte et au cinéma horrifique. Au lieu de nous rééditer toujours et encore les mêmes films dans de nouvelles versions il faudrait peut être qu’un éditeur courageux nous balance l’intégral du réalisateur avant qu’il ne sombre totalement dans l’oubli, c’est pas gagné puisque ses films sont souvent invisibles y compris dans son propre pays d’origine.
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le 11 nov. 2025
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