La privation de sommeil est une technique de torture bien connue, elle obscurcit le jugement, affecte l’organisme et peut détruire une personnalité. Si le sujet paraît de prime abord anodin, il peut vite prendre des proportions insoupçonnées, tant un manque chronique de sommeil peut corrompre une personnalité et faire ressortir les plus bas instincts. Dans Tu Dors Nicole, le réalisateur Stéphane Lafleur ne va pas aussi loin dans le traitement de son personnage principal, il filme un changement plus lent et plus subtil chez son héroïne, une affection plus suggérée de son comportement.

La perte du sommeil, c’est avant tout une lutte entre le jour et la nuit, entre un soleil qui domine les journées d’été et une lune reléguée au rang de faire-valoir. De nos jours, si le choix du noir et blanc peut parfois paraître (à juste titre) élitiste, il est des plus pertinents dans le cas de Tu Dors Nicole. Accolé à une mis en scène académique (une nécessité) mais soignée et maitrisée, il apporte un contraste visuel entre l’éclat d’un soleil étouffant et l’ombre d’une nuit, où se refugient les songes. Des songes que Nicole ne parvient pas à atteindre. Stéphane Lafleur illustre son film par ce procédé : le jour qui empêche Nicole de dormir et Nicole qui empêche la nuit de l’endormir.

C’est d’ailleurs sur ce sommeil que s’ouvre le film, sur Nicole quittant le lit de son aventure d’une nuit et récupérant son vélo sur un incroyable grillage, où plusieurs bicyclettes sont même suspendues. Elle nous offre ensuite tout un monde à découvrir, un frère installé avec son groupe dans la maison de famille, désertée par des parents en vacances, une meilleure copine insouciante (du moins en apparence) et le jeune Martin, gamin d’une douzaine d’années à la voix anormalement grave et fou amoureux de Nicole, sa baby-sitter.

Julianne Côté est Nicole, naturelle et spontanée dans son jeu, comme la plupart des acteurs qui l’entourent. Comme semble le vouloir Stéphane Lafleur, qui contemple autant qu’il filme, elle prend son temps. Celui de perdre pied dans sa vie, à mesure que l’insomnie la ronge. Celui de gagner la maturité, qui va avec l’âge des responsabilités dont elle se rapproche peu à peu. Elle est la part émergée d’une galerie de personnages tous attachants, parce que nous ramenant à notre vécu, à ces dernières années de légèreté qui précèdent cette réalité qui nous gagne avec l’âge adulte.

Tout n’est cependant pas noir (ou blanc), Stéphane Lafleur n’oubliant pas cet humour qui caractérise (entre autres) les habitants de La Belle Province. Outre leur accent au charme imparable, il connait le sens du mot « cocasse » lorsque la romance nait autour d’un ourlet à repriser, ou bien lorsqu’en pleine nuit, un père qui promène son bébé en voiture pour tenter de l’endormir, passe pour un dangereux rôdeur. De l’humour en douceur et en finesse, pour préserver le calme de cette nuit, que Nicole parcourt au lieu de dormir. Cette nuit qui lui échappe autant que cette vie, dont elle semble perdre peu à peu le contrôle.

Une vie ponctuée par la musique. Celle de son frère d’abord (composée par Rémy Nadeau-Aubin), presque omniprésente et qui s’intéresse plus au processus de création musicale, illustré en un moment de grâce lorsque, le groupe ayant déserté, le frère et la sœur se mettent à jouer ensemble, merveilleux. Celle du film ensuite, toute de discrétion et d’originalité, a été composée par Organ Mood et constitue plus une trame sonore qu’un véritable thème musicale. Il n’est pas question de parler de « musique d’ascenseur », mais plus d’une bande originale qui vient souligner un trait et parfois même apporter sa personnalité propre.

Tu Dors Nicole est une jolie petite surprise un film qui, sous des airs de chroniques adulescentes, vient parler en profondeur de cette perte de l’insouciance, lors d’un été qui semble le dernier avant le passage d’un cap. Un été qui tourne le dos aux couchers tardifs, à la musique trop forte, aux longues discussions au bord de la piscine, aux rapports humains pas encore dévorés par les conventions. Bref, ce temps où l’horizon que chacun se fixait, n’allait jamais au-delà du mois suivant. Ce temps où les actes, à défaut d’avoir des conséquences, avaient au moins une signification.
Jambalaya
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le 12 mars 2015

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