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De par sa nature de fait divers sordide porté à l’écran, The Onion Field s’inscrit dans une approche complètement anti-spectaculaire, où flics et malfrats sont présentés dans la banalité d’un quotidien sans envergure, aux antipodes des représentations hollywoodiennes courantes. Non pas que Harold Becker fasse dans l’éloge de la lenteur, non, mais plutôt dans la crédibilité d’une peinture de la société américaine dans son jus de la fin des 70s.
Alors tout y passe. Une justice en imbroglio administratif dont les processus lents empêchent les cicatrices de se refermer pour les victimes, quitte à souhaiter une conclusion finalement bien décevante pour pouvoir tourner la page. Des tensions raciales qui ont tôt fait de livrer un traitement policier différent lors de l’arrestation pour peu que l’on soit moins pâle que son compère, et dont le port du chapeau est bien plus facile à justifier. Des syndromes post-traumatiques du survivant qui renvoient invariablement aux affres du Vietnam, et dont le suivi psychologique absent ne peut mener qu’à un canon dans la bouche. De la remise en cause de la responsabilité des victimes, désignées coupables par leur hiérarchie pour avoir donner leurs armes, sans que l’on ne questionne la possibilité d’une telle situation en premier lieu, où la réalité émotionnelle de leur réaction. De la faillite d’un système pénitentiaire supposé réhabiliter les détenus condamnés pour crimes légers, qui les renvoie dans la fosse de laquelle ils viennent pour que rien ne change. L’éventail est large.
Et au milieu de cet amoncellement procédurier, une scène. Celle de la conduite en voiture vers le lieu de l’exécution. Un passage détonnant, angoissant, terrifiant, comme un autre film venu s'immiscer dans le déroulé. Où l’on comprend que la raison même du meurtre est basée sur une incompréhension des conséquences légales. Où le champ d'oignons tutélaire, celui où a eu lieu le crime réel et où Becker a planté sa caméra, créé un espace liminal hors du temps et des conventions de la société. Où seules des lumières au loin laissent deviner la vie possible. Où les boniments d’un James Wood habité ne sont jamais crus, laissant perler la sueur des derniers instants redoutés. Une scène qui à elle seule vaut le détour.
The Onion Field n’est un polar que dix minutes, mais c’est cette sortie de route remarquable, cette juxtaposition des tonalités qui le rend mémorable. Et si les constats tirés de ce portrait d’une Amérique tombent aujourd’hui sous le sens, ils n’en restent pas moins éclairés et clairement démontrés par cette œuvre qui mériterait d’être plus connue. En cela, on peut remercier la collection Make My Day! de Jean-Baptiste Thoret qui exhume quelques pépites perdues dans l’oubli d’une industrie à la production gargantuesque.