Ulliises
Ulliises

Documentaire de Werner Nekes ()

Cinéaste oublié ( à tord ) mais complètement libre ( à raison ) le prodigue et prodigieux Werner Nekes livrait avec Uliisses l'un de ses longs métrages les plus nébuleux, et certainement l'un des plus ambitieux. Équivalent européen du film-mastodonte du désormais regretté Michael Snow ( l'inénarrable 'Rameau's Nephew' by Diderot (Thanx to Dennis Young) by Wilma Schoen : gigantesque morceau de Cinéma de plus de quatre heures appréhendant le langage des sons et des images comme un immense terrain de jeux en tous genres...) Uliisses est une Oeuvre plastique pour le moins in-évidente, hommage Ô mérique aux textures lumineuses doublé d'un ludisme linguistique logiquement hérité du célèbre romancier James Joyce auquel il fait forcément référence.


Il s'agit bien ici de light-érature, au sens propre et concret du terme : d'une "écriture de la lumière" et - par conséquent - du mouvement et des espaces intarissablement fragmentés par Nekes et ses prouesses du montage attractif. Segmenté en une petite dizaine de séquences toutes plus impénétrables les unes que les autres Uliisses reprend les origines du cinématographe en la forme d'une lanterne magique jalonnant çà et là le métrage par sa présence centrale et centrifuge ; fondé sur un principe de surimpressions multiples ledit film brouille le produit visuel fini pour mieux le rendre impur et - de fait - beaucoup plus intéressant et passionnant que ne le serait une succession linéaire de plans de cinéma tirés à quatre épingles.


Uliisses agit sur le spectateur telle une promenade entreprise hors des sentiers battus, renâclant - dans la constance la plus authentique - au formatage et aux compromis artistiques. Monté avec une virtuosité unique en son genre l'objet XP de Werner Nekes joue moins sur la langue de Joyce que sur celle de la pure scopie, convoquant néanmoins les figures principales de l'épopée dublinoise ainsi qu'une poignée de dieux et déesses grecs tout droit sortis de L'Odyssée d'Homère pour mieux conférer à l'ensemble de son métrage un réel fil conducteur. Aux deux Oeuvres sus-citées s'en ajoute une troisième, une curieuse captation théâtrale ressemblant aux happenings 60's-70's de l'underground Werner Schroeter, mélange de performances scéniques baignant dans un singulier clair-obscur et de figures féminines maquillées dans la crudité la plus prononcée. C'est tour à tour somptueux, désarçonnant et littéralement incapable d'être passé au crible de par son hétérogénéité somme toute géniale et incomparable à quoi que ce soit d'autre.


90 minutes d'émulsions visuelles et musicales proprement stimulantes, qui pourront de toute évidence laisser les cinéphiles les plus cartésiens et férus d'expériences factuelles sur le bas-côté du plaisir. Les amoureux des sons et des images déviantes et interdites y trouveront quant à eux tout leur compte, savourant l'impureté d'un film entièrement consacré au langage cinématographique car allant des prémisses des trucages à la manière d'un Georges Méliès tout en annonçant les saccades et autres heurts cinétiques de tout un large pan du Cinéma expérimental des années à venir. Une matrice jouissive et inoubliable.

stebbins
8
Écrit par

Créée

le 25 mars 2024

Critique lue 7 fois

stebbins

Écrit par

Critique lue 7 fois

Du même critique

La Prisonnière du désert
stebbins
4

Retour au foyer

Précédé de sa réputation de grand classique du western américain La Prisonnière du désert m'a pourtant quasiment laissé de marbre voire pas mal agacé sur la longueur. Vanté par la critique et les...

le 21 août 2016

42 j'aime

9

Hold-Up
stebbins
1

Sicko-logique(s) : pansez unique !

Immense sentiment de paradoxe face à cet étrange objet médiatique prenant la forme d'un documentaire pullulant d'intervenants aux intentions et aux discours plus ou moins douteux et/ou fumeux... Sur...

le 14 nov. 2020

38 j'aime

55

Mascarade
stebbins
8

La baise des gens

Nice ou l'enfer du jeu de l'amour-propre et du narcissisme... Bedos troque ses bons mots tout en surface pour un cynisme inédit et totalement écoeurrant, livrant avec cette Mascarade son meilleur...

le 4 nov. 2022

26 j'aime

5