Ange plein de gaieté, connaissez-vous l'angoisse, / La honte, les remords, les sanglots, les ennuis, / Et les vagues terreurs de ces affreuses nuits / Qui compriment le cœur comme un papier qu'on froisse ? / Ange plein de gaieté, connaissez-vous l'angoisse ?

Le premier long-métrage de Frédéric Dumont commence par les célèbres vers de Baudelaire, murmurés par une voix d'enfant. La voix du jeune Martin Nissen, véritable révélation du film. Sur la profération de ces vers angoissés, l'histoire d'une famille se bâtit. Ou plutôt la fin de son histoire. Au Maroc, Louis vit avec son père, sa mère et son frère aîné, dans l'insouciance de son jeune âge. Jusqu'au jour où le père lui apprend qu'il veut se donner la mort, avant de s'enfermer comme un ermite dans sa chambre. Louis se laisse entraîner dans la noirceur de l'âme de son père, le surveillant en permanence dans l'espoir d'éviter le pire.

Tendu à craquer, noir comme l'ébène, le scénario distille une atmosphère oppressante, angoissante, frôlant perpétuellement la tragédie, flirtant avec le malsain, le morbide, mais sans jamais y tomber. Reposant sur un équilibre fragile entre des forces de vie et de mort, le récit avance lentement, inexorablement, prenant littéralement son spectateur en otage. Lorsqu'on n'est pas enfermé dans la chambre obscure où se terre le père, on suit avec effroi la folie progressive dans laquelle tombe son fils. Cela faisait longtemps qu'une relation père/fils à l'écran n'avait pas autant été aussi intense et bouleversante.

Olivier Gourmet, effrayant par le caractère impénétrable qu'il donne à son personnage (on ne saura jamais pourquoi il veut mourir), livre une performance d'acteur sidérante de retenue et de non-dit. On ne l'a jamais vu aussi ténébreux, aussi silencieux. Il incarne un mystère qui nous bouleverse par le sentiment d'impuissance qu'il provoque autour de lui, de sa femme (touchante Anne Consigny) à ses fils, jusqu'au spectateur. Face à lui, le jeune Martin Nissen, dans le rôle de Louis, son fils cadet, fait preuve d'une maturité d'acteur stupéfiante, par la crédibilité de ses réactions, par le regard de plus en plus malade qu'il porte sur son père en sursis, par la perte douloureuse de sa parole face aux autres.

Prenant pied dans un décor marocain sec et torride, l'histoire rappelle fortement les thèmes des films coloniaux, où la population française était montrée comme intruse, dépérissante. Pas à sa place. Toujours forcée à un départ précipité par une tragédie, condamnée à mort d'avance dans un milieu hostile qui n'est pas le sien et qui finit par la rejeter comme tout parasite. Le film de Frédéric Dumont réactualise et se réapproprie les codes de tout un cinéma colonial à présent révolu, en lui conférant la force d'un drame intime cauchemardesque, aux frontières du fantastique. Les personnages ne sont plus que des ombres dérisoires, incompréhensibles, des spectres hantant le décor exotique d'un monde qui les as dévorés de l'intérieur. Silhouettes filmées à contrejour, aux lignes vacillantes, prêtes à défaillir, à s'évanouir dans la lumière blafarde de la lune où sous la puissance écrasante d'un soleil de plomb.

Plongée fascinante et fébrile dans l'agonie d'une famille pulvérisée par des démons indicibles mais fatals, Un Ange à la mer est une pure tragédie, noire et poisseuse, mais traversée par la beauté, la force du lien qui unit un père et son fils face aux rives incertaines de la mort. Le terrible dénouement une fois accompli, on sort de la salle l'âme littéralement nouée. Une œuvre aussi magnifique qu'éprouvante.
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le 6 août 2010

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